dimanche 26 février 2012

Exit Ghost


Exit le fantôme, Philippe Roth

Nathan Zuckerman vit en ermite depuis plus de onze ans, à plus de deux-cents kilomètres de New-York. Mais vient toujours un jour où l’ermitage doit voir partir son locataire, pour un temps plus ou moins long. Dans le cas de Zuckerman, ce n’est rien moins que sa vessie qui fait office de déclencheur ; parce qu’elle se déclenche trop souvent, justement. Agé de plus de soixante-dix ans, notre monsieur souffre d’incontinence, en plus d’une impuissance liée à un ancien cancer de la prostate. Pas de chance…
Pourtant, après une vie où rien ne se passait, où tout était réglé, c’est la chance, ou plutôt le hasard, auxquels Zuckerman cède la place. En deux jours à New-York, il se retrouve plus de fois confronté aux hasards de la vie qu’au cours des onze dernières années. On aurait pu croire que le monsieur, cet écrivain double de l’auteur, se serait terré bien à l’abri dans sa chambre d’hôtel, sans bouger, avec ses vieux livres, en attendant que la tempête passe. Mais contre toute attente, c’est l’inverse qui se produit.
Notre homme, parfois victime d’un alzheimer naissant qui lui embrouille l’esprit, répond présent à toutes ces sollicitations du destin. New-York ça bouge ; alors il joue le jeu, et entre dans la ronde un peu diabolique de toutes les tentations de la grande ville.
La première des opportunités n’est pas des moindres : une annonce pour échange de maisons avec un couple de new-yorkais. La trentaine, lui bon parti et aimant, elle riche et séductrice. En plus de l’aventure du déménagement (qui aurait pu suffire à notre homme vu son âge, mais ne faisons pas dans l’humour noir), c’est l’aventure de la passion qui repointe le bout de son nez après toutes ces années d'hibernation. Jamie fascine Nathan, et il ne cesse d’imaginer des scénarii en forme de dialogue entre elle, la jeune femme désirable, et lui, l’homme terni et diminué par l’âge. Une quinzaine d’années plutôt, alors qu’ils se rencontraient pour la première fois, lui grand écrivain, elle étudiante à la plume attentive, il semblait lui avoir plu. Mais maintenant, les années ayant laissé leurs traces, la fascination n’est plus vraiment de la partie, et encore moins l’attirance…
Bref, il tente de séduire une jeune femme bien plus jeune, alors que tout autour de lui lui montre qu’il n’est plus vraiment à la hauteur du rôle. La porte de sortie et son panneau Exit semblent clignoter quelque part… 

Richard Kilman est l’un de ceux qui, du haut de leur jeunesse musclée, lui rappellent qu’il n’est plus l’homme vaillant et plein d’espoir qu’il était. Ce Richard tueur d’homme (mais Zuckerman n’est-il pas déjà en passe de devenir un fantôme ?) cherche à réaliser la biographie de Lonov, un écrivain oublié qui aurait emporté avec lui un lourd secret, un secret à la mesure d’un Daniel Hawthorne (je ne spoilerai pas, même si ça n’a pas grande incidence sur le cours de l’histoire :p). Zuckerman, à juste titre, estime que ce serait tuer une seconde fois cet homme, dont la renommée littéraire, déjà bien mince, serait alors réduite à néant. Il s’oppose donc à Kilman, lequel, en plus de potentiellement devenir un biographe assassin, est également l’amant de Jamie, statut tant convoité par Zuckerman…
Au fil des rencontres et des opportunités, pendant une semaine plus riche en rebondissements que ses onze dernières années d’existence, on l’a dit, Zuckerman va peu à peu se rendre compte qu’il n’a plus tellement sa place dans le monde, mais aussi que la littérature et sa part de fiction se font peu à peu dévorées par le jeu de la vérité (où est l’autre moi proustien pour un homme comme Kilman ?), et que le monde va à vau-l’eau (il arrive à New-York en plein milieu des élections de 2004 qui voient la victoire de Bush). Tout semble bien flou et prêt à disparaître, comme ce fantôme, ce double de Roth, Zuckerman, qui signe semble-t-il avec ce roman la fin de sa carrière.
Le titre me fait d'ailleurs penser à une mise à pied, le créateur reprenant le dessus sur sa création, dans un dernier sursaut d’espoir, peut-être celui qui tout cela n’est bien été que de la fiction…

Le coeur cousu (et surtout ému)


Le cœur cousu, Carole Martinez

Soledad nous raconte une histoire surprenante : celle de Frasquita, sa mère, couturière magicienne. Aiguilles en main, cette jeune femme a, dès ses débuts, fait montre de talents exceptionnels. Mais comme elle le découvrira une nuit, initiée par sa mère à elle, elle n’est pas seulement une couturière hors pair ; elle a surtout des dons magiques. Rebouteuse aux fils arc-en-ciel, Frasquita va alors accomplir un certain nombre de miracles ; tout ce qu’elle touche de son aiguille se transforme, se sublime ou reprend vie.

Heureusement qu’elle a ces dons Frasquita, puisque dans son village, rien ne va comme elle le voudrait. La statue de vierge manque de vie ? Pas de problème, (attention je spoile !)on va lui coudre un cœur, et elle va rayonner. Son mari voit son coq favori anéanti lors d’un combat ? Rien de plus simple pour Frasquita que de recoudre plumes et plaies. Un jour c’est même un homme laissé pour mort à qui elle redonne visage humain. Tout ce qu’elle touche se transforme, se met à rayonner, à aimer même. Mais malgré tout, un jour, Frasquita quitte son village. Elle a été jouée par son mari (au sens propre!), et en plus de cela l’ogre sévit, et risque de s’attaquer à sa nombreuse progéniture. La jeune femme a en effet eu plusieurs enfants, des filles et un garçon, tous ayant une particularité : l’une ne parle pas, l’autre a aussi des dons, la dernière est revenue de la mort et le garçon est roux (conception moyennâgeuse de la rousseur, mais on est dans un conte, tout est possible !) . Soledad, la plus jeune, la toute dernière, née dans le sable du désert, est quant à elle, comme son nom le laisse entendre et comme on l’apprend dès l’incipit, destinée à la solitude.
A l’extérieur comme à l’intérieur du village, tout est un peu magique autour de Frasquita. Dans ce roman qui flirte avec l’épopée et le conte, on rencontre des sages-femmes un peu sorcières, des médecins mangeurs d’enfants, des révolutionnaires sanguinaires et des héros sans peur. Avec un tel casting, promesse est assurée : on ne s’ennuie pas.

Certes, certains épisodes doivent être pris tels qu’ils sont : fabuleux, dignes d’un conte, un peu abracadabrantesques donc. Mais dès lors que l’on garde cela en mémoire au cours de la lecture (presque 400 pages tout de même), on n’est presque jamais déçu.

Un dernier point est à noter : la dimension métatextuelle de l’ouvrage. La métaphore du fil, du tissu, de la couture, n’est pas sans rappeler l’étymologie du texte, à l’origine un tissu sur lequel on écrit. Soledad, qui raconte l’histoire de sa mère, n’a de cesse de nous rappeler qu’avec ses aiguilles, cette femme a tissé sa vie, comme à la fin elle l’a fait avec les robes de mariées de ses filles. Un destin retracé, cousu et recousu, harmonieux ou rapiécé, qui ne laisse pas en tout cas le lecteur indifférent.

dimanche 29 janvier 2012

Pennac était un cancre

Chagrin d’école, Daniel Pennac   

Où l’on apprend que le célèbre Daniel Pennac était un cancre.

     D’après le dictionnaire, le cancre désigne l’élève paresseux et mauvais. Étymologiquement ça vient de crabe ; et dans la nature, le crabe est l’animal qui marche à l’envers ou de côté. Le cancre est donc celui qui regimbe, qui marche à reculons des conventions, qui refuse de se fondre dans la masse. Bref, le mauvais élève. Pennac était donc un mauvais élève. Et pourtant, dès le début de son autobiographie, on comprend qu’il a réussi ; très bien réussi même, au point de passer à la télé. La mise en abyme est complète, le caractère fictif aussi : on est dans la mise en scène de soi, pure et simple.
     Pourtant sa mère a du mal à y croire, à ce succès. Pour elle, Daniel reste le mauvais élève, celui qui échoue, oublie tout,  a du mal. Le cancre de service. Même s’il a réussi, elle se demande ce qu’elle va faire de lui.

     Dans cette autobiographie en forme de vademecum à destination des enseignants, Pennac nous fait part de ce passé de mauvais élève qui l’a finalement mené jusqu’à l’agrégation, à l’écriture et plus tard aux plateaux télé. Mis en pension dès la cinquième, le jeune homme va être « sauvé » par quatre professeurs. Comme quoi les profs ne sont pas tous des tortionnaires.
     Ce roman-autobiographie-essai-confession fait la part belle aux enseignants, en mettant en scène un cancre qui a réussi (donc tous les élèves peuvent devenir quelque chose, même si on leur assène des "mais qu’est-ce qu’on va faire de toi" à longueur de journée). Un cancre qui a réussi et qui est même devenu un super prof, qui rend les élèves les plus rétifs champions d’orthographe, et les poissons rouges bibles de textes littéraires. Avec lui on apprend des passages de Tolstoï et Proust par cœur, et quand on est en cinquième, on corrige les dissert’ des lycéens. C’est bien beau tout ça, merveilleux, idéal, tout ce qu’on veut. Un super prof vous dis-je. Mais si on n’a pas été cancre avant, est-ce qu’on peut devenir aussi bon ? C'est ce qu'on peut se demander.
    Certes cela donne espoir quant au métier, on se dit qu’on peut toujours réussir à les faire avancer ces élèves plus ou moins intéressés, qu’ils peuvent progresser grâce à nous, comprendre ce que recèlent les pronoms adverbiaux y et en (j’y arriverai jamais, j’en ai marre, et autres tournures fort optimistes) ou encore se souvenir des passages célèbres de Madame Bovary parce que le super prof les leur aura faits apprendre par cœur. Pourtant je reste dubitative et circonspecte et tout ce que vous voulez face à cette réussite professorale quasi exemplaire. Je me demande comment, avec tout ça, il parvient à boucler le programme…

     Ce livre n’en reste pas moins une mine d’exemples et de réflexions pour tout professeur qui se respecte, et la confession de l’ancien cancre est menée de telle sorte que forcément, on adhère. Les élèves sont stéréotypés, mais en même temps dans une classe il y a toujours au moins un cancre, un caïd, le bon élève, la jolie fille et les autres. Les activités sont à la limite de l’extraordinaire, mais l’idée du plus peut permettre de réaliser le moins. Les idées vont à fond dans le sens des pédagogues, mais cela permet d’illustrer les thèses du clan adverse des intellectuels. Bref, c’est un livre qui donne des idées, plein d’idées. En plus de cela il est plaisant à lire, sauf au bout de 200 pages environ, moment au bout duquel j’ai commencé à en avoir marre et à lire en diagonal. Les réflexions sur l’école actuelle, la société et le reste m’agaçaient un peu. Toutefois je pense que je m’y replongerai un jour. C’est peut-être un peu un évangile pour les profs ce prix Renaudot 2007…

jeudi 26 janvier 2012

Incroyable extrêmement

Extrêmement fort et incroyablement près, Jonathan Safran Foer

   Que penser d’Oskar, cet enfant précoce, loufoque, qui invente tout le temps, et qui est obsédé par une chose : retrouver la serrure à laquelle correspond la clé qu’il a trouvée par hasard dans la chambre de son père. Ce père qui est mort dans l’attentat du World Trade Center. Que penser de ce gamin bizarre ?
   C’est un peu ce qu’on se dit quand on commence la lecture d’Extrêmement fort et incroyablement près. Déjà on s’est dit que le titre était incroyablement long. Ensuite, qu’il était extrêmement bizarre, et troublant.
   Troublant parce que c’est un roman polyphonique. On entend tour à tour Oskar, son grand-père qu’on ne connaît pas et qu’il ne connaît pas, et sa grand-mère, à côté de laquelle il vit. On ne comprend pas tout. On saisit surtout qu’Oskar comprend plein de choses qui nous échappent, et utilise deux cent fois par jours les adverbes extrêmement et incroyablement. Mais de moins en moins au fil de pages. Comme si sa voix se perdait ; comme si sa naïveté originelle s’en allait. Dans sa quête du souvenir de son père, de la manière dont il est mort, de la serrure qui enferme les réponses que la clé peut ouvrir, Oskar se laisse porter. Au fil des rencontres il y voit plus clair parfois, plus sombre parfois. Il grandit en tout cas.

   Roman d’apprentissage, si l’on veut. Roman de la filiation oui. Roman de la parole aussi. Le grand-père d'Oskar l’a perdue cette parole ; parce que la Seconde Guerre Mondiale a ses évènements traumatisants. Alors pour s’exprimer, il utilise ses mains ; pas le langage des signes ; juste les paumes de ses mains. Là où sont tatoué les mots OUI et NON. Oui et non pour vivre, dire sa peur et son amour. Pour le reste il a ses cahiers. Ses cahiers où il écrit qu'il ne peut dire, qu'il est désolé, et enfin ce qu'il ne peut dire. Et quand il n’a pas de cahier il écrit sur les murs. Sur le corps de sa femme aussi. Sur tout ce qui peut supporter des mots.
   Les mots sont parfois durs à entendre, à accepter. Ces derniers mots que le papa d’Oskar a laissés sur son répondeur sont les derniers liens qui le relient à lui ; les seuls indices qui contiennent peut-être la réponse à cette grande question : comment papa est-il mort.
   Des thèmes durs, délicats, mais traités avec brio. Un roman construit et artistique, une œuvre multiple, un patchwork d’inventivité et de sentiments. Ce n’est pas niais, loin de là. Malgré le style enfantin de l’ensemble, tout est très profond. On est ému, on réfléchi, on rit et on peut pleurer. Un roman incroyablement grand, que j’ai extrêmement aimé. 

dimanche 22 janvier 2012

L'empreinte de l'ange

L’empreinte de l’ange, Nancy Huston

Second livre de Nancy Huston qui me tombe sous la main et un univers totalement inattendu. Avec Dolce Agonia on nous a emmenés aux Etats-Unis fêter Thanksgiving ; dans L’Empreinte de l’ange c’est la France d’après-guerre qui sert de théâtre à l’histoire.
Rapahël, éminent joueur de flûte, a publié une annonce dans un journal : il recherche une bonne. Le roman commence in medias res, avec l’arrivée d’une candidate potentielle. Mais de potentielle cette dernière passera rapidement à recrutée, tout simplement parce que le musicien va en tomber amoureux.
S’ensuit une idylle à sens unique. Raphaël s’abyme d’amour pour Saffie (prononcer Zzzaffie), alors même que cette dernière reste froide et muette. Ce mutisme qui avait tant séduit le musicien finit par lui peser et lui poser question. Il pense que le mariage pourrait changer quelque chose à l’attitude de Saffie. Il l’épouse donc trois semaines après l’avoir rencontrée. Un mariage qui ne modifie pas leurs relations, loin s’en faut. Quelques temps après, Saffie tombe enceinte ; ultime espoir pour son mari de la voir changer. Mais rien n’y fait, la jeune femme reste le bloc de marbre qu’il a toujours connu. Ne parlant pas plus qu’il ne faut, s’occupant de son enfant comme d’un paquet qui mange et dort. L’existence du jeune couple et de sa progéniture - progéniture unique d’ailleurs puisque l’accouchement a occasionné la perte de ses organes génitaux internes- n’est pas promise à un avenir des plus joyeux…
…jusqu’au jour où Raphaël envoie sa femme auprès du célèbre spécialiste de la réparation des instruments à vent. Second coup de foudre du roman, mais cette fois réciproque. Les deux amants s’aiment après s’être à peine parlé ; et chaque fois que son époux part en tournée, Saffie se rend chez son amant.
Malgré le caractère magique et idyllique de la rencontre, tout n’est pas aussi rose qu’il peut sembler. Saffie et Andras le luthier n’ont en commun que l’amour. Elle est allemande, Andras est émigré hongrois. Tout les sépare, et on comprend petit à petit le mutisme de Saffie ; son enfance a été ponctuée par divers évènements traumatisants, son père ayant été nazi. Andras ne comprend pas son indifférence au monde qui l’entoure, lui fais fréquemment des reproches à ce propos. Peu à peu ils ne se comprennent plus, mais restent tout de même liés, jusqu’à ce qu’Andras assiste aux répressions de 1961. Il en revient transformé, et le clivage est d’autant plus grand entre eux. Cela fait bientôt 1 mois que Saffie n’a pas vu Andras. Pourtant ils se revoient, et ce rendez-vous au parc, accompagnés du petit garçon de Saffie, va marquer la fin de l’histoire... Raphaël aperçoit Andras et comprend tout…
Il emmène alors son jeune fils en voyage, afin que celui-ci lui avoue tout ce qu’il sait. Ce faisant il désunit le duo d’inséparables formé par Saffie et son fils, et finit par causer la mort de celui-ci, dans des circonstances tragiques. Je spoile, mais c’est pour montrer à quel point ce roman est tragique, révoltant, dérangeant parfois. Les sentiments des personnages sont complexes, Saffie et Andras sont hantés par des origines et un passé qui bouleversent leurs vies. Leurs réactions sont surprenantes, parfois gênantes ; on ne sait trop que penser, on ne sait pas s’il faut compatir ou non à leurs réactions, à ces stigmates du passé qui les rendent si imprévisibles. Ce roman déroute, le lecteur se sent impuissant et presque rejeté face à ces êtres dévorés par le passé et l’Histoire. Sur les quatre personnages du roman, c’est Raphaël et son fils qui, je trouve, sont les plus à plaindre : ils doivent subir les humeurs et déconvenues de leur épouse et mère, et pour le petit garçon celles d’Andras, qu’il considère comme son Papa. Or ces pauvres ères n’aspirent qu’à une chose : le bonheur. Etre heureux et qu’on les laisse tranquilles. Ce qui est loin d’être le cas, même si le flûtiste, tout à sa musique, met un temps certain à s’en rendre compte.
                Une dernière chose tout de même, à propos du titre et plus joyeuse que le reste : pourquoi « l’empreinte de l’ange » ? Cela réfère à une histoire qu’Andras raconte à Saffie : à notre naissance, un ange pose son doigt au-dessus de notre lèvre supérieure, ce qui forme la petite goutte que nous avons tous à cet endroit. Telle cette marque, le passé pose sur la mémoire sa marque indélébile, qui jamais ne disparaît. Ainsi nous sommes tous ce que notre passé a fait de nous, et il est difficile d’oublier ce passé. Un passé qui peut être destructeur, comme l’illustre Nancy Huston. Du moins telle est ma lecture de cette œuvre ; une lecture pessimiste…et une empreinte plutôt démoniaque dès lors…
  

Le potentiel romanesque du Grand Nain porte Qwa

Le potentiel érotique de ma femme, David Foenkinos

Hector, un type un peu étrange souffrant d’une addiction elle aussi étrange rencontre de manière étrange une femme tout ce qu’il y a de plus normal… et la collectionne.
Voilà le livre résumé. D’accord, je pourrais développer davantage en expliquant que l’addiction en question c’est la collectionnite aigüe (autrement dit le besoin de collectionner tout et n’importe quoi), que l’étrangeté du type vient certainement de cette névrose, cumulée à la trentaine bien tassée qu’il traine avec son célibat, et le fait qu’il ait cherché à se suicider parce que quand même, tout ça, c’est pas une vie. On peut aussi, légitimement, se demander comment est-ce qu’on peut collectionner sa femme. Dans le cas du personnage en question, c’est simple : sa femme fait les carreaux, il en est tout émoustillé, et lui demande de recommencer, encore et encore. Dingue…
Bref ce roman, bien qu’il se lise vite et bien, est complètement barré. Encore une fois Foenkinos nous montre qu’un auteur peut écrire ce qu’il veut, du moment qu’il évoque la nature humaine, ses habitudes et ses travers. Le problème est que là, tout va de travers, tout est bizarre, étrange, incroyable, voire ridicule.
Finalement je ne sais pas tellement trancher : ai-je trouvé cela totalement ridicule, ou ai-je accroché malgré tout ? Je pense que comme bon nombre de lectrices (j'imagine (peut-être à tord) que ce sont majoritairement des femmes qui affectionnent ce genre de romans romantico-burlesques…), je me suis laissée prendre au jeu, tout en me disant : mais c’est n’importe quoi !!
M’est avis que Foenkinos a beaucoup de talent pour réussir à faire passer de si grosses pilules de folie. Il est déjanté je crois, mais suffisamment doué pour parvenir le plus souvent à nous faire croire que tout ce qu’il raconte est possible. Tout est plutôt bien ficelé, bien amené, et la folie maîtrisée peut donner quelque chose d’assez remarquable, dans le sens premier du terme. Parce que si on accepte de le lire, un tel roman ne laisse pas indifférent.
Il est vrai que cet auteur ne se prend pas au sérieux, et c’est assez plaisant. On pourrait peut-être même presque dire qu’il fait dans la méta-dérision romanesque… sans pédanterie aucune !
Je ne sais pas quels sont les divers avis sur ce thème, et vais m’empresser d’aller me renseigner à ce propos parce que tout de même, ce roman a connu et connaît encore un certain succès.

mardi 17 janvier 2012

L'aventure d'un naufrage

Les naufragés de l’île Tromelin, Irène Frain

   C’est une île de corail sèche, dure, qui fait mal et qui brise ; un furoncle émergeant dans les mers des tropiques ; un lieu de mort permanent, de tempêtes cycliques. Un lieu qui meurt et ressurgit, sans cesse, sans trêve. Les tortues y pondent, y meurent, et rarement survivent. Les oiseaux y ont leur nid, mais entre deux tempêtes, tout est détruit. Bref, cette île, c’est l’île du danger, comme on l’appelle.
   Elle est effrayante cette île, d’autant plus effrayante qu’on a du mal à la localiser. Certains l’ont vue, d’autres non ; certains l’ont répertoriée selon telles latitudes, alors que pour d’autres elle se trouve à telles autres. Une espèce d’île fantôme, comme il en existe beaucoup autour de Madagascar. Mais celle-ci, elle, est bien réelle…
   Trop réelle même, quand après de longues digressions sur les histoires de l’île et de la navigation au XVIIIème siècle, les marins de l’Utile, suite à un regrettable cap à l'est, la mutinerie ayant échouée, se retrouvent projetés sur ses durs coraux. Le bateau vient de faire naufrage, on n’avait pas vu l’île, trop sombre dans la brume nocturne. Le capitaine voulait faire son malin avec sa cargaison d’esclaves dans la soute ; maintenant, il n’a que ce qu’il mérite : un naufrage. Et un naufrage sur cette île, ce ne sera pas un séjour à Hawaï…
   Bon nombre d’entre eux sont morts dans le naufrage. Les marins qui restent sont sonnés. Les esclaves de la calle s’en vont de leur côté. On ne mélange pas blancs et noirs, même dans la galère.
   L’Utile était donc un bateau négrier ; mais un négrier clandestin. Le capitaine avait embarqué ces esclaves sans autorisation, pour les vendre un bon prix en Europe. Il ne s’attendait pas à ce que tous se retrouvent livrés à eux-mêmes sur une île…
   Le premier manque auquel il faut palier, c’est l’eau douce. Même si le bateau dégueule encore sa cargaison, cela ne suffira jamais. On s’y met, pendant des pages, et finalement on trouve de l’eau. Saumâtre certes, mais de l’eau douce. En mangeant les oiseaux qui pullulent au-dessus des têtes, on peut survivre. Puis le temps, les jours passent, certaines deviennent fous, d’autres parviennent à conserver de la suite dans les idées ; alors on tente de construire un bateau, pour s’enfuir. On y parvient. Il n’est pas assez grand pour tout le monde, on s’en serait douté. Il faut sacrifier les esclaves. Ils vont rester sur l’île.

   Voilà, l’aventure, la vraie, s’arrête là. Maintenant ça devient l’illustration de la lutte contre l’esclavage. D’ailleurs cette histoire va se solder par son abolition.
   Un roman qui tient en haleine, mais avec toutefois de grandes longueurs ; des rencontres de termes impromptues, inattendues ; un style parfois surprenant. Mais globalement un bon moment de lecture, et une manière intéressante d’aborder l’Histoire. L’alternance des points de vue de divers personnages permet de rendre l’ensemble dynamique, varié et donc intéressant.



samedi 7 janvier 2012

En cas de bonheur

En cas de bonheur, David Foenkinos

Encore un roman de Foenkinos qui déroute, mais qu’on ne peut pas lâcher. Il déroute parce qu’il est bourré d’invraisemblances, auxquelles finalement on s’habitue. Ce qui ressemble au premier abord à de l’invraisemblance fleur bleue voire niaise se révèle être la patte de cet auteur. Dans La Délicatesse, pour ceux qui l’ont lu (c’est mon cas) et éventuellement vu (ce n’est pas mon cas, pas encore tout du moins), une jeune femme devient veuve et tombe amoureuse du boloss de son bureau, après l’avoir embrassé de façon impromptue. Etrange, un peu risible, voire ridicule pour certains, ce genre de scène et de configurations incroyables pullulent dans En cas de bonheur. Et en définitive, c’est pour notre plus grand plaisir.
Un peu comme dans un vaudeville, Foenkinos nous dévoile les ficelles de cette intrigue rocambolesque et très bien construite. Deux personnages s’opposent : Jean-Jacques, un mari désabusé, médusé et en définitive amoureux, et Claire, sa femme, qui rêve de passion et d’idylle. Les deux s’aiment, mais le roman raconte le moment où tout a basculé entre eux. Tatata !
Construit très rigoureusement, ce roman frisant parfois l’absurde (tel qu’on peut parfois le croiser dans la vie, ceci dit) commence par un prologue, et finit par un épilogue. Les deux se ressemblent ; entre ces deux droites parallèles, des enchevêtrements de fils se mêlent et s’emmêlent, avec pourtant une harmonie certaine. Le lecteur lit avec plaisir les histoires alternées de chacun des époux séparés. L’un vit une passion brève mais puissante avec une nouvelle collègue de bureau canon (forcément… et encore, elle n’est pas secrétaire !) et l’autre avec le détective qu’elle a engagé pour filer en douce son mari volage. Si la femme est cocue la première, le tour du mari ne tarde pas. Bref, tous les deux vivent intensément cette période de pause dans leur couple, avec plus ou moins de désinvolture, de larmes, de regrets. Les périodes alternent, tout s’emmêle, pour finalement revenir à un unique point : l’amour. Huit ans de vie commune, tout semble faner ; vient le moment de s’amuser ; de retrouver des sensations perdues, celles des débuts. Ça pétille, c’est chouette, c’est joli, lumineux ; Noël tous les jours. Puis finalement, on repense à celui/celle avec qui on a passé tout ce temps, tous ces bons moments, depuis huit ans. Et en définitive, qu’arrive-t-il ? On se retrouve. Mais chez Foenkinos, les retrouvailles sont vaudevillesques, rocambolesques ; c’est plus que romanesque, c’est quasi burlesque. Je ne vous en dirai pas plus. Ah si tout ce même, peut-être une chose : en cas de bonheur, il n’y a pas de remède ; juste éventuellement accepter d’avaler la pilule rose, gratuite et euphorisante, dont la vie nous fait parfois cadeau. Par conséquent, ne la laissons pas passer…
En bref, si on accepte l’univers incroyable de Foenkinos, d’où émergent pourtant des adages, des observations fort justes et des mises en scènes surréalistes qui font réfléchir, on peut se dire que c’est un bon roman.
Ceci dit rien à avoir avec le dernier en date, Les Souvenirs, bien plus sérieux, bien moins ludique, et pourtant tout aussi réussi. Un grand romancier sous ses airs bonhommes, qui sait en plus jouer sur de nombreux registres. A lire donc !

mercredi 4 janvier 2012

Clèves, une ville loin des convenances royales

Clèves, Marie Darrieussecq

Il y a plus de 300 ans, Madame de la Fayette écrivait La Princesse de Clèves. L’histoire d’une princesse de la cour d’Henri II qui, touchée par l’amour, y renonçait par dévouement à son défunt mari. Au grand damne de Nemours, jamais Madame de Clèves ne consommera le coup de foudre…
Solange, la toute jeune princesse moderne, consomme elle. Des serviettes higiéniques quand « elle les a », des garçons que elle « le fait », des hommes quand elle « le refait ». Les avoir, le faire et le refaire forme les trois parties de ce roman constitué de multiples fragments liés les uns aux autres par la chronologie de l’évolution de la jeune fille en pleine puberté.
Solange vit avec sa mère dépressive et sa « nounou » (un voisin un peu étrange…). Son père est rarement présent, puisqu’il serait pilote de ligne (cela reste toutefois un peu mystérieux, comme beaucoup d’éléments de ce roman, un peu fondus dans le morcellement des paragraphes. Un univers familial un peu instable lui aussi, qui ne laisse pas beaucoup de place à la sécurité, peu de gens pour la rassurer, peu de temps pour lui expliquer ce qui se passe dans son corps et son cœur. Pourtant à l’école, on ne parle que de « ça ». Le sexe est partout, dans toutes les bouches, sous tous les regards. Comme dans la fameuse PDC, les histoires enchâssées sont omniprésentes (introduites au gré des rencontres et des discussions), et surtout, la vue est au centre du roman. Le sexe se voit : on voit le sang, on voit la débauche paternelle, on voit les corps qui se mêlent, s’emmêlent surtout, parce qu’ils sont jeunes et inexpérimentés.
Tout est très cru dans ce roman où l’on parle des règles sans langue de bois, un peu brutalement, une brutalité qui coïncide avec le sentiment de Solange quand elle les subit pour la première fois. La brutalité également des garçons qu’elle rencontre, et avec qui elle « le fait » pour la première fois. Elle veut savoir ce que ça fait, et bien elle ne va pas tarder à le savoir.
Tout ceci est narré avec des mots d’enfant, de jeune fille sans expérience qui découvre la vie, l’amour, la sexualité surtout. Ce n’est pas Solange qui raconte, c’est un narrateur interne ou omniscient, on ne sait pas trop, tout est un peu brouillé, à l’image de ces repères qui changent. Le passage de l’enfance à l’adolescence.
Un roman aux multiples épisodes, raconté avec justesse, sans langue de bois, dans toute la réalité toute nue (c’est assez approprié dans ce cas ^^) des évènements. Un roman étonnant, qui n’a pas peur des mots, et qui m’a beaucoup plu. Un beau cadeau de Nowel J !

lundi 26 décembre 2011

Une valse à cinq temps

La valse aux adieux, Milan Kundera

Ce livre, c’est un méli-mélo dans un cadre bien défini, un imbroglio sur un espace lisse, l’effusion de la modernité dans un univers désuet. La petite ville d’eaux dans laquelle se déroulent les diverses histoires qui constituent ce roman gigogne est tout ce qu’il y a de plus propret, de plus organisé, de plus calme, de plus reposant. Une atmosphère un peu lente, où tout est ralenti, comme suspendu, à la manière d’un pas de danse. Et pourtant elle devient le théâtre d’évènements plus invraisemblables les uns que les autres, et pourtant historiques semble-t-il…
Tout commence avec le drame de Ruzena, jeune infirmière de la station thermale où des femmes, en grande majorité, viennent se faire soigner de divers petits maux gynécologiques. Toutefois ce dont souffre cette dernière ce n’est pas de stérilité comme bon nombre d’autres, au contraire. Elle est enceinte. Mais le problème n’est pas là, puisque le désir de toutes ces femmes est d’avoir un enfant ; le problème c’est cette aventure d’un soir avec le célèbre trompettiste, et le fait que Klima ne veuille pas garder l’enfant. Avorter ou ne pas avorter ? Ruzena ne sait que faire… elle ne sait que choisir… En plus de cela elle est poursuivie par un jeune homme fou d’elle, et dont elle ne veut pas ; pas tout de suite en tout cas. Voilà la trame générale de cette histoire construite comme un canevas, dans laquelle tous les éléments se recoupent, où tous les personnages finissent par se croiser, se connaître, voire s’aimer.
Sinon il y a la  femme de Klima qui se meurt de jalousie. Et  Olga, la pupille de Jakub, qui est amoureuse de celui-ci en secret. Jakub, ancien militant victime de purges, s’apprête quant à lui à quitter son pays, et il est nostalgique. Il rend alors visite à son vieil ami le gynécologue fou qui, dans une espèce d’entreprise eugéniste, s’amuse à inoculer sa semence à toutes ses patientes soit disant stériles. On ne compte plus le nombre d’enfants dont il est le père secret…
Cette espèce de vaudeville se déroule sur cinq jours et cinq nuits, cinq révolutions lunaires au cours desquelles se jouent de nombreux évènements, dont l’entrecroisement peut avoir de tragiques conséquences sur ceux-ci. Tous les évènements et les personnages sont imbriqués, fortement liés, presque interdépendant ; des chaines de hasards, un peu comme dans la vie.

A travers toutes ces histoires, dont l’une nous plonge dans un suspense haletant, Kundera pose des questions essentielles sur des sujets à portée universelle : les femmes, les choix qui s’offrent à elles, la pression masculine quant à leur vie, mais aussi l’amour, la jalousie, la mort, le meurtre (vous découvrirez en quoi Jakub peut être un Raskolnikov sans états d’âme) et j’en passe. Kundera traite des sentiments et des relations humaines avec une légèreté et une justesse exemplaires ; on croirait à un conte moderne, et pourtant ce sont de véritables leçons de vie qu’il illustre ainsi.
Une valse où se croisent de multiples personnages donc, chacun s’apprêtant à partir, puisque de toute manière cette ville n’est qu’un lieu de passage, un lieu où on ne séjourne que le temps de se faire soigner, que le temps de rasséréner son corps et éventuellement son esprit avant de retrouver la vie, la vraie, celle qui rend triste, en colère, celle qui est difficile parfois, mais souvent très belle… Bref, ce lieu de passage où fatalement on se dit adieu devient la piste où se déploient harmonieusement tous ces danseurs plus ou moins habiles, plus ou moins gracieux, mais qui pourtant effectuent cette « « valse aux adieux » de façon grandiose. Ruzena lance un double adieu à la vie, Jakub on l’a dit quitte la ville, Olga dit adieu à sa jeunesse, Kamila s’apprête à quitter son mari, le gynécologue va partir aux Etats-Unis ; voilà en bref la teneur des départs de tous ces êtres, que tout oppose le plus souvent, mais qui pourtant se retrouvent mêlés à la même partition, à la même musique, à la même composition, et enfin au même roman.
Certes pas le meilleur Kundera concernant la profondeur de réflexion, mais malgré tout un roman très plaisant à lire.

Pour fournir matière intellectuelle à tout ceci, voici un article fort complet et fort intéressant sur Kundera, le kitsch, son œuvre, et diverses autres petites choses… 



lundi 19 décembre 2011

Ce qu'on nous dit de Vera Candida

Ce que je sais de Vera Candida, Véronique Ovaldé

Ce roman est un peu comme un conte. Tout y est doux et un peu cruel par moments. Tout est sucré et un peu amer parfois. Il y a de jolies choses et puis des moins agréables, mais l’ensemble entraîne harmonieusement. Vers où ?
Vers une île sur laquelle ont vécu trois générations de femmes, trois « amazones » comme on les appelle. Des amazones qui ont survécu à une vie qui ne leur a pas réservé que de bonnes surprises. Tout commence avec Rose Bustamente, qui a connu tous les hommes de Vatapuna, tous ses poissons volants, tous ses lézards et autres bêbettes, avant de se retrouver dans les draps de Jeronimo, tombé amoureux d’elle. De cette rencontre inopinée entre deux personnes ne devant jamais se rencontrer est né un bébé, Violette. C’est chouette, mais elle était un peu bête. Elle a donc couché elle aussi avec un homme, est elle aussi tombée enceinte, a elle aussi mis au monde une fille. Par contre, elle, elle ne l’a pas tellement élevée, sa Vera Candida. La petite est restée livrée à elle-même un certain temps avant que sa grand-mère ne la prenne en main, et qu’elle devienne l’héroïne de ce roman.
Vera Candida va finir par quitter l’île et partir à l’aventure, portant elle aussi un enfant en elle. Elle séjourne dans un palais pour Morues, travaille de nuit dans une usine de paniers-repas, rencontre un journaliste embarqué dans un tas de sombres affaires, et finit avec un cancer de l’estomac.
Mais son histoire avec le journaliste reste fort jolie, puisqu’il va l’aimer pendant des années avant qu’elle ne daigne franchir avec lui le pas de l’intimité. Et une fois accrochée, elle va y rester jusqu’à la fin, passionnée, aimante, heureuse. Une belle vie dans l’amour…
Bref, un roman accrocheur, exotique, tout en douceur mais sans mièvrerie, abordant des sujets cruels tels que le viol, l’inceste, la maladie et les trafics en tous genres. Un roman qui se lit d’une traite ou presque (j’ai fait une longue escale au pays de la diète…), et qui vaut le coup, malgré les apparences qui peuvent être rebutantes au cours des premiers chapitres. Un vrai plaisir. 

vendredi 9 décembre 2011

Nerveuse romance...

Parce que cette histoire raconte un jeu de nerfs.


Romance Nerveuse, Camille Laurens

Tomber amoureuse d’un paparazzi quand on est un écrivain célèbre. Rien de plus romanesque me diriez-vous ? Oui, sauf que Camille Laurens n’est pas le genre de célébrité que traque Luc, et que Luc n’est pas le genre de type qu’aime Camille Laurens. Elle est plutôt du genre beaux bruns intellectuels, cultivés, et pleins aux as peut-être, quoi que je n’en sais rien…

Quoi qu’il en soit, ces deux là se rencontrent par hasard, sans rien savoir de la profession de l’autre, se revoient, et s’aiment. Un amour improbable, sorte d’incartade dans la vie ; un amour impossible entre deux individus au caractère bien trempé, mais que tout oppose.
Camille va devoir se plier aux sautes d’humeur du jeune homme (il a trente-cinq ans, dix ans de moins qu’elle), à ses frasques, à ses rendez-vous manqués, ses retards et autres goujateries. En fait Luc est borderline, c’est une maladie psychologique, il change tout le temps de désirs, d’humeur, il est insaisissable, il veut tout faire et être tout le monde à la fois, écrivain, inventeur, champion cycliste et d’autres encore.
Qu’est-ce qu’un type comme ça fait avec une femme comme elle ? Elle est réfléchie, cultivée, névrosée ; il est impulsif, incollable sur les people, et névrosé aussi en fait. C'est sans doute le seul point qui les rapproche. Mais quel point ! Ils ont tous deux du mal avec la vie. Mais au lieu de s’aider l’un l’autre à la supporter, ils se la rendent impossible.
Revenons toutefois sur les circonstances : Camille vient de se faire virer par son éditeur suite à un sévère dissensus rencontré avec Marie Darrieusecq. Cette dernière aurait plagié des passages entiers de Philippe pour écrire son Dolorossa. En colère, triste, affligée, Camille écrit en une nuit blanche un article dénonçant ce plagiat irrévérencieux. Et elle se fait virer…
Comme d’habitude un roman autofictif, fortement influencé par la vie de Camille Laurens, par cette année de parenthèse où elle n’arrivait pas à écrire, ou plutôt si, elle écrivait, mais dans son esprit. Elle enregistrait tous les détails pour écrire, un jour, Romance Nerveuse.

dimanche 20 novembre 2011

Des souvenirs...

Les souvenirs, David Foenkinos

On pourrait presque penser que le narrateur et héros des Souvenirs n’est autre que David Foenkinos lui-même. Solitaire, aimé avec maladresse par ses parents, gardien de nuit dans un hôtel, et surtout, aspirant à devenir écrivain. Bon j’avoue que c’est cet unique point qui me fait dire que, peut-être, il y a identité entre les deux individus. Quoi qu’il en soit, ceci m’a permis de présenter le personnage principal, d’autant plus important que c’est lui qui raconte l’histoire.
Histoire de quoi ? De pas grand-chose finalement, puisqu’il s’agit principalement de deux évènements majeurs de sa vie : ses derniers mois avec sa grand-mère entrée en maison de retraite, et sa rencontre avec Louise, avec qui il aura un enfant. Deux épisodes qui sont autant de souvenirs qui marquent une vie. Et il n’y a pas d’âge pour avoir des souvenirs ; c’est d’ailleurs ce qui permet à l’enfant de se construire.
Mêlés au récit des souvenirs du narrateur - de ses échanges fugaces avec son père, gênés avec sa grand-mère, inexistants avec les femmes-, le roman est empli de souvenirs de personnalités célèbres, de Gainsbourg à Nietzsche en passant par Fitzgerald.
« Chaque jour de mon existence, j’ai eu ces vibrations prémonitoires de mon futur. » Cette phrase de Gainsbourg est fort belle, et résume tout à fait ce qui se passe parfois : le sentiment d’avoir toujours su qu’une chose arriverait.
Le jeune narrateur cherche sans cesse l’inspiration, et les mots pour la dire. Comme il n’a pas – ou peu - d’imagination, il tente de voir dans la vie les détails qui font mouche, et de les transcrire. Toutefois rien ne vient sur le moment, il est dans l’attente de cet instant de grâce littéraire qui tarde à pointer le bout de son nez. Pourtant ce ne sont pas les détails que j’appellerais « en exergue de la vie » qui manquent : la fugue de sa grand-mère, un enterrement mémorable, la rencontre avec Louise, et j’en passe. Autrement dit les détails qui font mouche, qui sortent de l’ordinaire, qui surprennent et s’encrent dans la mémoire; ces détails qui pourraient figurer dans un roman et qui nous font dire que la vie n’est pas qu’une pâle avancée vers la mort.
C’est une chose que je retiens de la lecture de ce roman : la vie est pleine de surprises et de détails ; à chacun de savoir les saisir. Tout le monde peut les photographier ; peu nombreux sont ceux qui parviennent ensuite à développer ces clichés. Proust appelle ceux qui en sont capables des artistes. Pour les autres, ces clichés de la vie restent opaques, lettres mortes. Seuls les artistes parviennent à donner sens à ces photographies que nous prenons sans cesse de la vie, plus ou moins consciemment. La vie, la vraie, la seule vie pleinement vécue, serait alors la littérature (c’est ce que dit Proust dans Le Temps Retrouvé). Moi je pense plutôt que la vie qui donne envie d’être vécue, c’est celle où les détails en exergue se laissent saisir et apprécier, tout en permettant de construire les souvenirs, la mythologie personnelle. C’est grâce à elle qu’ensuite, par les souvenirs et les images flash qu’elle conserve, qu’on peut continuer à trouver des sens à la vie, des détails qui tuent, des détails fluos, en relief, en paillettes, ces détails qui rendent la vie moins lourde et plus intense.

Pour un vrai résumé de ce roman émouvant et burlesque à la fois (comme souvent avec cet auteur), je vous propose le résumé de Sophie : http://leslivresdesophie.over-blog.com/article-david-foenkinos-les-souvenirs-84240659-comments.html#anchorComment

samedi 19 novembre 2011

La drogue ou la vie

Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée…

D’accord, je suis un peu vieille pour m’être intéressée à ce témoignage ; c’est un peu ce que lisent les adolescents pré-pubères dans leurs moments de crise. Mais je ne sais pas, j’avais besoin de lire quelque chose qui s’apparente à un parcours initiatique, quelque chose sur la délicate construction de soi, même si c’est glauque, dur, froid. L’univers de la drogue, c’est comme ça ; effrayant.
Toutefois le témoignage de Christiane (et oui, c’est un vrai témoignage !) ne sombre pas dans le pathos ; elle raconte consciencieusement sa lente mais inéluctable déchéance, sans omettre de détails. Elle revient sur ses pensées après coup, montrant combien elle avait pu se mentir à elle-même, occulter le réel, penser que tout irait mieux alors que tous ses actes prouvaient que ce n’était pas le cas.

Dès son plus jeune âge, la jeune fille a le goût de l’interdit ; tout ce qui est hors la loi la grise, l’attire, l'exalte inexorablement. Forcément il est question d’enfance malheureuse en famille,  de divorce et touti quanti . Néanmoins elle semble prendre plaisir à sa vie de casse-coût. Un plaisir plutôt cynique certes, teinté d’amertume et de danger, mais tout de même. De là viendra son dégoût prononcé pour la vie, ce dégoût qui l’amènera à se laisser tenter par les voyages et autres trips artificiels.
C’est cela qui m’a marquée dans ce témoignage : les motivations des drogués, qui sont finalement peut-être des personnes plus sensible que d’autres. S’ils sniffent, avalent des cachets ou se piquent, c’est pour échapper à la vie ordinaire, laquelle les rend malheureux. Ils ne se sentent pas épanouis dans le monde qui les entoure, sauf quand ils sont sous l’emprise de produits. Qu’ils soient de consommation courante ou d’une rareté onéreuse mais éclatante dans ses effets, que ce soient des somnifères, du Valium ou de l’H (héroïne, pour les intimes), tout est bon à prendre pour se sentir planer ( « à quinze mille » comme ils disent). La vie réelle est vraiment dure, alors autant partir ailleurs, dans des rêveries psychédéliques. Ça on pourrait presque le concevoir. Le problème est que la réalité reprend malgré tout rapidement le dessus, et que tout se corse.
Pour planer, il faut de la drogue. Pour cela il faut payer. Pour payer il faut avoir de l’argent. Pour avoir de l’argent il faut soit être riche, soit travailler. C’est banal, mais cela fait beaucoup de conditions. Des conditions trop nombreuses qui font que rapidement, malgré les trips et les jolies couleurs, tout devient plus complexe. Il ne s’agit même plus de vivre, mais de survivre. Le pire est réservé à ceux qui ont pris de l’H. Ils deviennent rapidement accros, et enchaînent les crises de manque. Il leur faut leur dose quotidienne, laquelle augmente de semaine en semaine. Christiane, comme les autres, pense qu’il est aisé de s’en sortir, qu’on peut décrocher facilement comme elle dit. Rien de plus faux ; beaucoup, même, en meurent.
Néanmoins Christiane fait tout pour s’en sortir.

Ce témoignage est issu d’un entretien qu’une équipe de chercheurs allemands ont réalisé auprès de jeunes berlinois. Christiane s’est prêtée au jeu plus encore que les autres, et pendant deux mois, elle a fait le récit de cette jeunesse terrible, cette enfance gâchée par l’irréalité de la drogue, et, paradoxalement, la rudesse qu’elle impose à ceux qui la côtoient. Une fois qu’on y a touché, toute la vie tourne autour de la poudre, l’existence est centrée sur elle, l’individu est obnubilé par elle. Christiane et ses amis se prostituent pour planer, ou tout simplement, à force, pour ne plus souffrir, pendant un instant. Pour un trip de trop, pour voir la vie en rose l’espace d’un instant, on risque de tomber dans cet état de souffrance perpétuel qui fait de ce livre un témoignage poignant.
Ajoutons que le témoignage de Christiane n’occupe pas l’intégralité du livre ; une petite partie regroupe les témoignages de la mère de Christiane qui assiste, aveugle puis combative, à la déchéance et au retour à la vie de sa fille.
Un livre pour ados, que finalement je conseille quel que soit votre âge ; malgré la jeunesse de l'héroïne (sans jeu de mots aucun !), il s'agit tout de même une réflexion percutante sur la vie et les aspirations humaines au bonheur.