lundi 26 décembre 2011

Une valse à cinq temps

La valse aux adieux, Milan Kundera

Ce livre, c’est un méli-mélo dans un cadre bien défini, un imbroglio sur un espace lisse, l’effusion de la modernité dans un univers désuet. La petite ville d’eaux dans laquelle se déroulent les diverses histoires qui constituent ce roman gigogne est tout ce qu’il y a de plus propret, de plus organisé, de plus calme, de plus reposant. Une atmosphère un peu lente, où tout est ralenti, comme suspendu, à la manière d’un pas de danse. Et pourtant elle devient le théâtre d’évènements plus invraisemblables les uns que les autres, et pourtant historiques semble-t-il…
Tout commence avec le drame de Ruzena, jeune infirmière de la station thermale où des femmes, en grande majorité, viennent se faire soigner de divers petits maux gynécologiques. Toutefois ce dont souffre cette dernière ce n’est pas de stérilité comme bon nombre d’autres, au contraire. Elle est enceinte. Mais le problème n’est pas là, puisque le désir de toutes ces femmes est d’avoir un enfant ; le problème c’est cette aventure d’un soir avec le célèbre trompettiste, et le fait que Klima ne veuille pas garder l’enfant. Avorter ou ne pas avorter ? Ruzena ne sait que faire… elle ne sait que choisir… En plus de cela elle est poursuivie par un jeune homme fou d’elle, et dont elle ne veut pas ; pas tout de suite en tout cas. Voilà la trame générale de cette histoire construite comme un canevas, dans laquelle tous les éléments se recoupent, où tous les personnages finissent par se croiser, se connaître, voire s’aimer.
Sinon il y a la  femme de Klima qui se meurt de jalousie. Et  Olga, la pupille de Jakub, qui est amoureuse de celui-ci en secret. Jakub, ancien militant victime de purges, s’apprête quant à lui à quitter son pays, et il est nostalgique. Il rend alors visite à son vieil ami le gynécologue fou qui, dans une espèce d’entreprise eugéniste, s’amuse à inoculer sa semence à toutes ses patientes soit disant stériles. On ne compte plus le nombre d’enfants dont il est le père secret…
Cette espèce de vaudeville se déroule sur cinq jours et cinq nuits, cinq révolutions lunaires au cours desquelles se jouent de nombreux évènements, dont l’entrecroisement peut avoir de tragiques conséquences sur ceux-ci. Tous les évènements et les personnages sont imbriqués, fortement liés, presque interdépendant ; des chaines de hasards, un peu comme dans la vie.

A travers toutes ces histoires, dont l’une nous plonge dans un suspense haletant, Kundera pose des questions essentielles sur des sujets à portée universelle : les femmes, les choix qui s’offrent à elles, la pression masculine quant à leur vie, mais aussi l’amour, la jalousie, la mort, le meurtre (vous découvrirez en quoi Jakub peut être un Raskolnikov sans états d’âme) et j’en passe. Kundera traite des sentiments et des relations humaines avec une légèreté et une justesse exemplaires ; on croirait à un conte moderne, et pourtant ce sont de véritables leçons de vie qu’il illustre ainsi.
Une valse où se croisent de multiples personnages donc, chacun s’apprêtant à partir, puisque de toute manière cette ville n’est qu’un lieu de passage, un lieu où on ne séjourne que le temps de se faire soigner, que le temps de rasséréner son corps et éventuellement son esprit avant de retrouver la vie, la vraie, celle qui rend triste, en colère, celle qui est difficile parfois, mais souvent très belle… Bref, ce lieu de passage où fatalement on se dit adieu devient la piste où se déploient harmonieusement tous ces danseurs plus ou moins habiles, plus ou moins gracieux, mais qui pourtant effectuent cette « « valse aux adieux » de façon grandiose. Ruzena lance un double adieu à la vie, Jakub on l’a dit quitte la ville, Olga dit adieu à sa jeunesse, Kamila s’apprête à quitter son mari, le gynécologue va partir aux Etats-Unis ; voilà en bref la teneur des départs de tous ces êtres, que tout oppose le plus souvent, mais qui pourtant se retrouvent mêlés à la même partition, à la même musique, à la même composition, et enfin au même roman.
Certes pas le meilleur Kundera concernant la profondeur de réflexion, mais malgré tout un roman très plaisant à lire.

Pour fournir matière intellectuelle à tout ceci, voici un article fort complet et fort intéressant sur Kundera, le kitsch, son œuvre, et diverses autres petites choses… 



lundi 19 décembre 2011

Ce qu'on nous dit de Vera Candida

Ce que je sais de Vera Candida, Véronique Ovaldé

Ce roman est un peu comme un conte. Tout y est doux et un peu cruel par moments. Tout est sucré et un peu amer parfois. Il y a de jolies choses et puis des moins agréables, mais l’ensemble entraîne harmonieusement. Vers où ?
Vers une île sur laquelle ont vécu trois générations de femmes, trois « amazones » comme on les appelle. Des amazones qui ont survécu à une vie qui ne leur a pas réservé que de bonnes surprises. Tout commence avec Rose Bustamente, qui a connu tous les hommes de Vatapuna, tous ses poissons volants, tous ses lézards et autres bêbettes, avant de se retrouver dans les draps de Jeronimo, tombé amoureux d’elle. De cette rencontre inopinée entre deux personnes ne devant jamais se rencontrer est né un bébé, Violette. C’est chouette, mais elle était un peu bête. Elle a donc couché elle aussi avec un homme, est elle aussi tombée enceinte, a elle aussi mis au monde une fille. Par contre, elle, elle ne l’a pas tellement élevée, sa Vera Candida. La petite est restée livrée à elle-même un certain temps avant que sa grand-mère ne la prenne en main, et qu’elle devienne l’héroïne de ce roman.
Vera Candida va finir par quitter l’île et partir à l’aventure, portant elle aussi un enfant en elle. Elle séjourne dans un palais pour Morues, travaille de nuit dans une usine de paniers-repas, rencontre un journaliste embarqué dans un tas de sombres affaires, et finit avec un cancer de l’estomac.
Mais son histoire avec le journaliste reste fort jolie, puisqu’il va l’aimer pendant des années avant qu’elle ne daigne franchir avec lui le pas de l’intimité. Et une fois accrochée, elle va y rester jusqu’à la fin, passionnée, aimante, heureuse. Une belle vie dans l’amour…
Bref, un roman accrocheur, exotique, tout en douceur mais sans mièvrerie, abordant des sujets cruels tels que le viol, l’inceste, la maladie et les trafics en tous genres. Un roman qui se lit d’une traite ou presque (j’ai fait une longue escale au pays de la diète…), et qui vaut le coup, malgré les apparences qui peuvent être rebutantes au cours des premiers chapitres. Un vrai plaisir. 

vendredi 9 décembre 2011

Nerveuse romance...

Parce que cette histoire raconte un jeu de nerfs.


Romance Nerveuse, Camille Laurens

Tomber amoureuse d’un paparazzi quand on est un écrivain célèbre. Rien de plus romanesque me diriez-vous ? Oui, sauf que Camille Laurens n’est pas le genre de célébrité que traque Luc, et que Luc n’est pas le genre de type qu’aime Camille Laurens. Elle est plutôt du genre beaux bruns intellectuels, cultivés, et pleins aux as peut-être, quoi que je n’en sais rien…

Quoi qu’il en soit, ces deux là se rencontrent par hasard, sans rien savoir de la profession de l’autre, se revoient, et s’aiment. Un amour improbable, sorte d’incartade dans la vie ; un amour impossible entre deux individus au caractère bien trempé, mais que tout oppose.
Camille va devoir se plier aux sautes d’humeur du jeune homme (il a trente-cinq ans, dix ans de moins qu’elle), à ses frasques, à ses rendez-vous manqués, ses retards et autres goujateries. En fait Luc est borderline, c’est une maladie psychologique, il change tout le temps de désirs, d’humeur, il est insaisissable, il veut tout faire et être tout le monde à la fois, écrivain, inventeur, champion cycliste et d’autres encore.
Qu’est-ce qu’un type comme ça fait avec une femme comme elle ? Elle est réfléchie, cultivée, névrosée ; il est impulsif, incollable sur les people, et névrosé aussi en fait. C'est sans doute le seul point qui les rapproche. Mais quel point ! Ils ont tous deux du mal avec la vie. Mais au lieu de s’aider l’un l’autre à la supporter, ils se la rendent impossible.
Revenons toutefois sur les circonstances : Camille vient de se faire virer par son éditeur suite à un sévère dissensus rencontré avec Marie Darrieusecq. Cette dernière aurait plagié des passages entiers de Philippe pour écrire son Dolorossa. En colère, triste, affligée, Camille écrit en une nuit blanche un article dénonçant ce plagiat irrévérencieux. Et elle se fait virer…
Comme d’habitude un roman autofictif, fortement influencé par la vie de Camille Laurens, par cette année de parenthèse où elle n’arrivait pas à écrire, ou plutôt si, elle écrivait, mais dans son esprit. Elle enregistrait tous les détails pour écrire, un jour, Romance Nerveuse.