dimanche 29 janvier 2012

Pennac était un cancre

Chagrin d’école, Daniel Pennac   

Où l’on apprend que le célèbre Daniel Pennac était un cancre.

     D’après le dictionnaire, le cancre désigne l’élève paresseux et mauvais. Étymologiquement ça vient de crabe ; et dans la nature, le crabe est l’animal qui marche à l’envers ou de côté. Le cancre est donc celui qui regimbe, qui marche à reculons des conventions, qui refuse de se fondre dans la masse. Bref, le mauvais élève. Pennac était donc un mauvais élève. Et pourtant, dès le début de son autobiographie, on comprend qu’il a réussi ; très bien réussi même, au point de passer à la télé. La mise en abyme est complète, le caractère fictif aussi : on est dans la mise en scène de soi, pure et simple.
     Pourtant sa mère a du mal à y croire, à ce succès. Pour elle, Daniel reste le mauvais élève, celui qui échoue, oublie tout,  a du mal. Le cancre de service. Même s’il a réussi, elle se demande ce qu’elle va faire de lui.

     Dans cette autobiographie en forme de vademecum à destination des enseignants, Pennac nous fait part de ce passé de mauvais élève qui l’a finalement mené jusqu’à l’agrégation, à l’écriture et plus tard aux plateaux télé. Mis en pension dès la cinquième, le jeune homme va être « sauvé » par quatre professeurs. Comme quoi les profs ne sont pas tous des tortionnaires.
     Ce roman-autobiographie-essai-confession fait la part belle aux enseignants, en mettant en scène un cancre qui a réussi (donc tous les élèves peuvent devenir quelque chose, même si on leur assène des "mais qu’est-ce qu’on va faire de toi" à longueur de journée). Un cancre qui a réussi et qui est même devenu un super prof, qui rend les élèves les plus rétifs champions d’orthographe, et les poissons rouges bibles de textes littéraires. Avec lui on apprend des passages de Tolstoï et Proust par cœur, et quand on est en cinquième, on corrige les dissert’ des lycéens. C’est bien beau tout ça, merveilleux, idéal, tout ce qu’on veut. Un super prof vous dis-je. Mais si on n’a pas été cancre avant, est-ce qu’on peut devenir aussi bon ? C'est ce qu'on peut se demander.
    Certes cela donne espoir quant au métier, on se dit qu’on peut toujours réussir à les faire avancer ces élèves plus ou moins intéressés, qu’ils peuvent progresser grâce à nous, comprendre ce que recèlent les pronoms adverbiaux y et en (j’y arriverai jamais, j’en ai marre, et autres tournures fort optimistes) ou encore se souvenir des passages célèbres de Madame Bovary parce que le super prof les leur aura faits apprendre par cœur. Pourtant je reste dubitative et circonspecte et tout ce que vous voulez face à cette réussite professorale quasi exemplaire. Je me demande comment, avec tout ça, il parvient à boucler le programme…

     Ce livre n’en reste pas moins une mine d’exemples et de réflexions pour tout professeur qui se respecte, et la confession de l’ancien cancre est menée de telle sorte que forcément, on adhère. Les élèves sont stéréotypés, mais en même temps dans une classe il y a toujours au moins un cancre, un caïd, le bon élève, la jolie fille et les autres. Les activités sont à la limite de l’extraordinaire, mais l’idée du plus peut permettre de réaliser le moins. Les idées vont à fond dans le sens des pédagogues, mais cela permet d’illustrer les thèses du clan adverse des intellectuels. Bref, c’est un livre qui donne des idées, plein d’idées. En plus de cela il est plaisant à lire, sauf au bout de 200 pages environ, moment au bout duquel j’ai commencé à en avoir marre et à lire en diagonal. Les réflexions sur l’école actuelle, la société et le reste m’agaçaient un peu. Toutefois je pense que je m’y replongerai un jour. C’est peut-être un peu un évangile pour les profs ce prix Renaudot 2007…

jeudi 26 janvier 2012

Incroyable extrêmement

Extrêmement fort et incroyablement près, Jonathan Safran Foer

   Que penser d’Oskar, cet enfant précoce, loufoque, qui invente tout le temps, et qui est obsédé par une chose : retrouver la serrure à laquelle correspond la clé qu’il a trouvée par hasard dans la chambre de son père. Ce père qui est mort dans l’attentat du World Trade Center. Que penser de ce gamin bizarre ?
   C’est un peu ce qu’on se dit quand on commence la lecture d’Extrêmement fort et incroyablement près. Déjà on s’est dit que le titre était incroyablement long. Ensuite, qu’il était extrêmement bizarre, et troublant.
   Troublant parce que c’est un roman polyphonique. On entend tour à tour Oskar, son grand-père qu’on ne connaît pas et qu’il ne connaît pas, et sa grand-mère, à côté de laquelle il vit. On ne comprend pas tout. On saisit surtout qu’Oskar comprend plein de choses qui nous échappent, et utilise deux cent fois par jours les adverbes extrêmement et incroyablement. Mais de moins en moins au fil de pages. Comme si sa voix se perdait ; comme si sa naïveté originelle s’en allait. Dans sa quête du souvenir de son père, de la manière dont il est mort, de la serrure qui enferme les réponses que la clé peut ouvrir, Oskar se laisse porter. Au fil des rencontres il y voit plus clair parfois, plus sombre parfois. Il grandit en tout cas.

   Roman d’apprentissage, si l’on veut. Roman de la filiation oui. Roman de la parole aussi. Le grand-père d'Oskar l’a perdue cette parole ; parce que la Seconde Guerre Mondiale a ses évènements traumatisants. Alors pour s’exprimer, il utilise ses mains ; pas le langage des signes ; juste les paumes de ses mains. Là où sont tatoué les mots OUI et NON. Oui et non pour vivre, dire sa peur et son amour. Pour le reste il a ses cahiers. Ses cahiers où il écrit qu'il ne peut dire, qu'il est désolé, et enfin ce qu'il ne peut dire. Et quand il n’a pas de cahier il écrit sur les murs. Sur le corps de sa femme aussi. Sur tout ce qui peut supporter des mots.
   Les mots sont parfois durs à entendre, à accepter. Ces derniers mots que le papa d’Oskar a laissés sur son répondeur sont les derniers liens qui le relient à lui ; les seuls indices qui contiennent peut-être la réponse à cette grande question : comment papa est-il mort.
   Des thèmes durs, délicats, mais traités avec brio. Un roman construit et artistique, une œuvre multiple, un patchwork d’inventivité et de sentiments. Ce n’est pas niais, loin de là. Malgré le style enfantin de l’ensemble, tout est très profond. On est ému, on réfléchi, on rit et on peut pleurer. Un roman incroyablement grand, que j’ai extrêmement aimé. 

dimanche 22 janvier 2012

L'empreinte de l'ange

L’empreinte de l’ange, Nancy Huston

Second livre de Nancy Huston qui me tombe sous la main et un univers totalement inattendu. Avec Dolce Agonia on nous a emmenés aux Etats-Unis fêter Thanksgiving ; dans L’Empreinte de l’ange c’est la France d’après-guerre qui sert de théâtre à l’histoire.
Rapahël, éminent joueur de flûte, a publié une annonce dans un journal : il recherche une bonne. Le roman commence in medias res, avec l’arrivée d’une candidate potentielle. Mais de potentielle cette dernière passera rapidement à recrutée, tout simplement parce que le musicien va en tomber amoureux.
S’ensuit une idylle à sens unique. Raphaël s’abyme d’amour pour Saffie (prononcer Zzzaffie), alors même que cette dernière reste froide et muette. Ce mutisme qui avait tant séduit le musicien finit par lui peser et lui poser question. Il pense que le mariage pourrait changer quelque chose à l’attitude de Saffie. Il l’épouse donc trois semaines après l’avoir rencontrée. Un mariage qui ne modifie pas leurs relations, loin s’en faut. Quelques temps après, Saffie tombe enceinte ; ultime espoir pour son mari de la voir changer. Mais rien n’y fait, la jeune femme reste le bloc de marbre qu’il a toujours connu. Ne parlant pas plus qu’il ne faut, s’occupant de son enfant comme d’un paquet qui mange et dort. L’existence du jeune couple et de sa progéniture - progéniture unique d’ailleurs puisque l’accouchement a occasionné la perte de ses organes génitaux internes- n’est pas promise à un avenir des plus joyeux…
…jusqu’au jour où Raphaël envoie sa femme auprès du célèbre spécialiste de la réparation des instruments à vent. Second coup de foudre du roman, mais cette fois réciproque. Les deux amants s’aiment après s’être à peine parlé ; et chaque fois que son époux part en tournée, Saffie se rend chez son amant.
Malgré le caractère magique et idyllique de la rencontre, tout n’est pas aussi rose qu’il peut sembler. Saffie et Andras le luthier n’ont en commun que l’amour. Elle est allemande, Andras est émigré hongrois. Tout les sépare, et on comprend petit à petit le mutisme de Saffie ; son enfance a été ponctuée par divers évènements traumatisants, son père ayant été nazi. Andras ne comprend pas son indifférence au monde qui l’entoure, lui fais fréquemment des reproches à ce propos. Peu à peu ils ne se comprennent plus, mais restent tout de même liés, jusqu’à ce qu’Andras assiste aux répressions de 1961. Il en revient transformé, et le clivage est d’autant plus grand entre eux. Cela fait bientôt 1 mois que Saffie n’a pas vu Andras. Pourtant ils se revoient, et ce rendez-vous au parc, accompagnés du petit garçon de Saffie, va marquer la fin de l’histoire... Raphaël aperçoit Andras et comprend tout…
Il emmène alors son jeune fils en voyage, afin que celui-ci lui avoue tout ce qu’il sait. Ce faisant il désunit le duo d’inséparables formé par Saffie et son fils, et finit par causer la mort de celui-ci, dans des circonstances tragiques. Je spoile, mais c’est pour montrer à quel point ce roman est tragique, révoltant, dérangeant parfois. Les sentiments des personnages sont complexes, Saffie et Andras sont hantés par des origines et un passé qui bouleversent leurs vies. Leurs réactions sont surprenantes, parfois gênantes ; on ne sait trop que penser, on ne sait pas s’il faut compatir ou non à leurs réactions, à ces stigmates du passé qui les rendent si imprévisibles. Ce roman déroute, le lecteur se sent impuissant et presque rejeté face à ces êtres dévorés par le passé et l’Histoire. Sur les quatre personnages du roman, c’est Raphaël et son fils qui, je trouve, sont les plus à plaindre : ils doivent subir les humeurs et déconvenues de leur épouse et mère, et pour le petit garçon celles d’Andras, qu’il considère comme son Papa. Or ces pauvres ères n’aspirent qu’à une chose : le bonheur. Etre heureux et qu’on les laisse tranquilles. Ce qui est loin d’être le cas, même si le flûtiste, tout à sa musique, met un temps certain à s’en rendre compte.
                Une dernière chose tout de même, à propos du titre et plus joyeuse que le reste : pourquoi « l’empreinte de l’ange » ? Cela réfère à une histoire qu’Andras raconte à Saffie : à notre naissance, un ange pose son doigt au-dessus de notre lèvre supérieure, ce qui forme la petite goutte que nous avons tous à cet endroit. Telle cette marque, le passé pose sur la mémoire sa marque indélébile, qui jamais ne disparaît. Ainsi nous sommes tous ce que notre passé a fait de nous, et il est difficile d’oublier ce passé. Un passé qui peut être destructeur, comme l’illustre Nancy Huston. Du moins telle est ma lecture de cette œuvre ; une lecture pessimiste…et une empreinte plutôt démoniaque dès lors…
  

Le potentiel romanesque du Grand Nain porte Qwa

Le potentiel érotique de ma femme, David Foenkinos

Hector, un type un peu étrange souffrant d’une addiction elle aussi étrange rencontre de manière étrange une femme tout ce qu’il y a de plus normal… et la collectionne.
Voilà le livre résumé. D’accord, je pourrais développer davantage en expliquant que l’addiction en question c’est la collectionnite aigüe (autrement dit le besoin de collectionner tout et n’importe quoi), que l’étrangeté du type vient certainement de cette névrose, cumulée à la trentaine bien tassée qu’il traine avec son célibat, et le fait qu’il ait cherché à se suicider parce que quand même, tout ça, c’est pas une vie. On peut aussi, légitimement, se demander comment est-ce qu’on peut collectionner sa femme. Dans le cas du personnage en question, c’est simple : sa femme fait les carreaux, il en est tout émoustillé, et lui demande de recommencer, encore et encore. Dingue…
Bref ce roman, bien qu’il se lise vite et bien, est complètement barré. Encore une fois Foenkinos nous montre qu’un auteur peut écrire ce qu’il veut, du moment qu’il évoque la nature humaine, ses habitudes et ses travers. Le problème est que là, tout va de travers, tout est bizarre, étrange, incroyable, voire ridicule.
Finalement je ne sais pas tellement trancher : ai-je trouvé cela totalement ridicule, ou ai-je accroché malgré tout ? Je pense que comme bon nombre de lectrices (j'imagine (peut-être à tord) que ce sont majoritairement des femmes qui affectionnent ce genre de romans romantico-burlesques…), je me suis laissée prendre au jeu, tout en me disant : mais c’est n’importe quoi !!
M’est avis que Foenkinos a beaucoup de talent pour réussir à faire passer de si grosses pilules de folie. Il est déjanté je crois, mais suffisamment doué pour parvenir le plus souvent à nous faire croire que tout ce qu’il raconte est possible. Tout est plutôt bien ficelé, bien amené, et la folie maîtrisée peut donner quelque chose d’assez remarquable, dans le sens premier du terme. Parce que si on accepte de le lire, un tel roman ne laisse pas indifférent.
Il est vrai que cet auteur ne se prend pas au sérieux, et c’est assez plaisant. On pourrait peut-être même presque dire qu’il fait dans la méta-dérision romanesque… sans pédanterie aucune !
Je ne sais pas quels sont les divers avis sur ce thème, et vais m’empresser d’aller me renseigner à ce propos parce que tout de même, ce roman a connu et connaît encore un certain succès.

mardi 17 janvier 2012

L'aventure d'un naufrage

Les naufragés de l’île Tromelin, Irène Frain

   C’est une île de corail sèche, dure, qui fait mal et qui brise ; un furoncle émergeant dans les mers des tropiques ; un lieu de mort permanent, de tempêtes cycliques. Un lieu qui meurt et ressurgit, sans cesse, sans trêve. Les tortues y pondent, y meurent, et rarement survivent. Les oiseaux y ont leur nid, mais entre deux tempêtes, tout est détruit. Bref, cette île, c’est l’île du danger, comme on l’appelle.
   Elle est effrayante cette île, d’autant plus effrayante qu’on a du mal à la localiser. Certains l’ont vue, d’autres non ; certains l’ont répertoriée selon telles latitudes, alors que pour d’autres elle se trouve à telles autres. Une espèce d’île fantôme, comme il en existe beaucoup autour de Madagascar. Mais celle-ci, elle, est bien réelle…
   Trop réelle même, quand après de longues digressions sur les histoires de l’île et de la navigation au XVIIIème siècle, les marins de l’Utile, suite à un regrettable cap à l'est, la mutinerie ayant échouée, se retrouvent projetés sur ses durs coraux. Le bateau vient de faire naufrage, on n’avait pas vu l’île, trop sombre dans la brume nocturne. Le capitaine voulait faire son malin avec sa cargaison d’esclaves dans la soute ; maintenant, il n’a que ce qu’il mérite : un naufrage. Et un naufrage sur cette île, ce ne sera pas un séjour à Hawaï…
   Bon nombre d’entre eux sont morts dans le naufrage. Les marins qui restent sont sonnés. Les esclaves de la calle s’en vont de leur côté. On ne mélange pas blancs et noirs, même dans la galère.
   L’Utile était donc un bateau négrier ; mais un négrier clandestin. Le capitaine avait embarqué ces esclaves sans autorisation, pour les vendre un bon prix en Europe. Il ne s’attendait pas à ce que tous se retrouvent livrés à eux-mêmes sur une île…
   Le premier manque auquel il faut palier, c’est l’eau douce. Même si le bateau dégueule encore sa cargaison, cela ne suffira jamais. On s’y met, pendant des pages, et finalement on trouve de l’eau. Saumâtre certes, mais de l’eau douce. En mangeant les oiseaux qui pullulent au-dessus des têtes, on peut survivre. Puis le temps, les jours passent, certaines deviennent fous, d’autres parviennent à conserver de la suite dans les idées ; alors on tente de construire un bateau, pour s’enfuir. On y parvient. Il n’est pas assez grand pour tout le monde, on s’en serait douté. Il faut sacrifier les esclaves. Ils vont rester sur l’île.

   Voilà, l’aventure, la vraie, s’arrête là. Maintenant ça devient l’illustration de la lutte contre l’esclavage. D’ailleurs cette histoire va se solder par son abolition.
   Un roman qui tient en haleine, mais avec toutefois de grandes longueurs ; des rencontres de termes impromptues, inattendues ; un style parfois surprenant. Mais globalement un bon moment de lecture, et une manière intéressante d’aborder l’Histoire. L’alternance des points de vue de divers personnages permet de rendre l’ensemble dynamique, varié et donc intéressant.



samedi 7 janvier 2012

En cas de bonheur

En cas de bonheur, David Foenkinos

Encore un roman de Foenkinos qui déroute, mais qu’on ne peut pas lâcher. Il déroute parce qu’il est bourré d’invraisemblances, auxquelles finalement on s’habitue. Ce qui ressemble au premier abord à de l’invraisemblance fleur bleue voire niaise se révèle être la patte de cet auteur. Dans La Délicatesse, pour ceux qui l’ont lu (c’est mon cas) et éventuellement vu (ce n’est pas mon cas, pas encore tout du moins), une jeune femme devient veuve et tombe amoureuse du boloss de son bureau, après l’avoir embrassé de façon impromptue. Etrange, un peu risible, voire ridicule pour certains, ce genre de scène et de configurations incroyables pullulent dans En cas de bonheur. Et en définitive, c’est pour notre plus grand plaisir.
Un peu comme dans un vaudeville, Foenkinos nous dévoile les ficelles de cette intrigue rocambolesque et très bien construite. Deux personnages s’opposent : Jean-Jacques, un mari désabusé, médusé et en définitive amoureux, et Claire, sa femme, qui rêve de passion et d’idylle. Les deux s’aiment, mais le roman raconte le moment où tout a basculé entre eux. Tatata !
Construit très rigoureusement, ce roman frisant parfois l’absurde (tel qu’on peut parfois le croiser dans la vie, ceci dit) commence par un prologue, et finit par un épilogue. Les deux se ressemblent ; entre ces deux droites parallèles, des enchevêtrements de fils se mêlent et s’emmêlent, avec pourtant une harmonie certaine. Le lecteur lit avec plaisir les histoires alternées de chacun des époux séparés. L’un vit une passion brève mais puissante avec une nouvelle collègue de bureau canon (forcément… et encore, elle n’est pas secrétaire !) et l’autre avec le détective qu’elle a engagé pour filer en douce son mari volage. Si la femme est cocue la première, le tour du mari ne tarde pas. Bref, tous les deux vivent intensément cette période de pause dans leur couple, avec plus ou moins de désinvolture, de larmes, de regrets. Les périodes alternent, tout s’emmêle, pour finalement revenir à un unique point : l’amour. Huit ans de vie commune, tout semble faner ; vient le moment de s’amuser ; de retrouver des sensations perdues, celles des débuts. Ça pétille, c’est chouette, c’est joli, lumineux ; Noël tous les jours. Puis finalement, on repense à celui/celle avec qui on a passé tout ce temps, tous ces bons moments, depuis huit ans. Et en définitive, qu’arrive-t-il ? On se retrouve. Mais chez Foenkinos, les retrouvailles sont vaudevillesques, rocambolesques ; c’est plus que romanesque, c’est quasi burlesque. Je ne vous en dirai pas plus. Ah si tout ce même, peut-être une chose : en cas de bonheur, il n’y a pas de remède ; juste éventuellement accepter d’avaler la pilule rose, gratuite et euphorisante, dont la vie nous fait parfois cadeau. Par conséquent, ne la laissons pas passer…
En bref, si on accepte l’univers incroyable de Foenkinos, d’où émergent pourtant des adages, des observations fort justes et des mises en scènes surréalistes qui font réfléchir, on peut se dire que c’est un bon roman.
Ceci dit rien à avoir avec le dernier en date, Les Souvenirs, bien plus sérieux, bien moins ludique, et pourtant tout aussi réussi. Un grand romancier sous ses airs bonhommes, qui sait en plus jouer sur de nombreux registres. A lire donc !

mercredi 4 janvier 2012

Clèves, une ville loin des convenances royales

Clèves, Marie Darrieussecq

Il y a plus de 300 ans, Madame de la Fayette écrivait La Princesse de Clèves. L’histoire d’une princesse de la cour d’Henri II qui, touchée par l’amour, y renonçait par dévouement à son défunt mari. Au grand damne de Nemours, jamais Madame de Clèves ne consommera le coup de foudre…
Solange, la toute jeune princesse moderne, consomme elle. Des serviettes higiéniques quand « elle les a », des garçons que elle « le fait », des hommes quand elle « le refait ». Les avoir, le faire et le refaire forme les trois parties de ce roman constitué de multiples fragments liés les uns aux autres par la chronologie de l’évolution de la jeune fille en pleine puberté.
Solange vit avec sa mère dépressive et sa « nounou » (un voisin un peu étrange…). Son père est rarement présent, puisqu’il serait pilote de ligne (cela reste toutefois un peu mystérieux, comme beaucoup d’éléments de ce roman, un peu fondus dans le morcellement des paragraphes. Un univers familial un peu instable lui aussi, qui ne laisse pas beaucoup de place à la sécurité, peu de gens pour la rassurer, peu de temps pour lui expliquer ce qui se passe dans son corps et son cœur. Pourtant à l’école, on ne parle que de « ça ». Le sexe est partout, dans toutes les bouches, sous tous les regards. Comme dans la fameuse PDC, les histoires enchâssées sont omniprésentes (introduites au gré des rencontres et des discussions), et surtout, la vue est au centre du roman. Le sexe se voit : on voit le sang, on voit la débauche paternelle, on voit les corps qui se mêlent, s’emmêlent surtout, parce qu’ils sont jeunes et inexpérimentés.
Tout est très cru dans ce roman où l’on parle des règles sans langue de bois, un peu brutalement, une brutalité qui coïncide avec le sentiment de Solange quand elle les subit pour la première fois. La brutalité également des garçons qu’elle rencontre, et avec qui elle « le fait » pour la première fois. Elle veut savoir ce que ça fait, et bien elle ne va pas tarder à le savoir.
Tout ceci est narré avec des mots d’enfant, de jeune fille sans expérience qui découvre la vie, l’amour, la sexualité surtout. Ce n’est pas Solange qui raconte, c’est un narrateur interne ou omniscient, on ne sait pas trop, tout est un peu brouillé, à l’image de ces repères qui changent. Le passage de l’enfance à l’adolescence.
Un roman aux multiples épisodes, raconté avec justesse, sans langue de bois, dans toute la réalité toute nue (c’est assez approprié dans ce cas ^^) des évènements. Un roman étonnant, qui n’a pas peur des mots, et qui m’a beaucoup plu. Un beau cadeau de Nowel J !