Comme vous l'avez peut-être déjà lu ici, nous avons organisé avec mes élèves de Littérature et Société une interview Skype avec Tatiana de Rosnay. La vraie ! Et ça a eu lieu ce matin...
Autant vous dire qu'on était un peu fébriles et impressionnés, les élèves comme moi. Mais elle a su répondre très simplement à leurs questions, et j'ai quelques pépites à vous dévoiler ...
Pour simplifier et ne pas vous assommer avec de longs textes, je vais résumer l'interview en plusieurs grands points :
Tatiana et la lecture
Si Tatiana de Rosnay est écrivain, c'est qu'elle a avant tout été une lectrice : beaucoup d'auteurs anglais, mais également Maupassant, dont elle aime certaines atmosphères sombres, Thérèse Raquin de Zola et Edgar Poe, pour ces mêmes raisons. Elle a également été très influencée par Modiano et Virginia Woolf. Elle se disait "j'aimerais, moi aussi, écrire quelque chose qui captive les lecteurs" (et on peut dire qu'elle y réussit !). Et puis bien sûr, il y a Daphné du Maurier et Rebecca, le livre qui l'a tant marquée. Sa noirceur, son mystère et surtout l'absence de véritable fin exercent encore leur séduction sur elle. Elle se trouve d'ailleurs beaucoup de points communs avec cette auteur, mais pas seulement au niveau de l'écriture. Comme elle, elle a une double nationalité, mais les similitudes touchent également leur adolescence, leur famille, et d'autres dimensions plus intimes.
Ses sources d'inspiration
Les idées de ses romans lui viennent de son observation de la vie. Un voyage en train, une rencontre, une salle d'attente. Elle avoue beaucoup aimer les salles d'attente. Tous ses gens qui patientent pour voir le médecin sont pour elle des sujets de romans potentiels.
Puis le livre germe peu à peu dans son esprit, elle y pense tous les jours, il prend de plus en plus d'ampleur dans un coin un peu magique de son cerveau. Elle écrit souvent un plan avant d'en commencer la rédaction. Elle n'est pas le genre d'écrivain qui se "jette dans le livre", sans filet.
Chanceuse et prolixe, elle avoue ne jamais avoir été victime de la "page blanche" jusqu'à présent. Il y a toujours des idées qui l'inspirent, et elle aime particulièrement la variété. Ses romans s'en ressentent d'ailleurs.
L'écriture
Tatiana de Rosnay écrit depuis qu'elle a une dizaine d'années. Environ un livre par an. Tous les romans qu'elle n'a pas publiés avant ses 30 ans (elle a essuyé un rejet d'éditeur qui l'a refroidie quand elle avait une vingtaine d'années), sont regroupés dans une boîte, sur laquelle il est écrit "Ne pas publier après ma mort". Elle a donc une quarantaine de livres à son actif, mais seulement la moitié environ a été publiée.
Pour écrire, elle s'enferme dans une chambre de bonne réservée à cela, le plus loin possible du bruit. Elle l'appelle d'ailleurs Manderley, en hommage à Rebecca. Elle écrit face à un mur, pour ne pas être tentée de regarder par la fenêtre (comme Laurence Tardieu !) et ainsi rester concentrée. Elle évite également d'avoir une porte dans son dos, pour ne pas avoir l'impression d'être observée.
Tous ses livres sont rédigés sur traitement de texte. Elle consacre deux à six heures par jour à l'écriture de son roman et chaque matin elle reprend son manuscrit, le relit à haute voix et élimine les passages qui ne sonnent pas comme elle veut. C'est sans doute le travail le plus difficile.
Malgré cette habitude du clavier qui lui vient de sa jeunesse, quand son père lui avait offert une machine à écrire, Tatiana a écrit un roman à la main. Il s'agit de Rose. Après avoir essuyé deux ou trois jours d'échecs devant son clavier, elle a acheté un petit cahier et un stylo, et s'est lancée dans l'écriture. Elle était tellement habitée par le personnage de Rose, vieille dame vivant à l'époque d'Haussman et qui écrit son journal et des lettres à son mari, qu'elle ne pouvait procéder autrement. Au XIXème siècle, point d'ordinateur ! Elle a également écrit quelques passages d'A l'Encre Russe de façon manuscrite.
Tatiana et les maisons d'édition
Ses débuts avec les maisons d'édition n'ont pas été des plus simples. Elle s'est vue refusée une première fois quand elle était jeune, et elle a été un peu échaudée... Mais "il ne faut jamais baisser les bras", nous dit-elle. Ainsi elle a retenté l'expérience vers l'âge de trente ans, et cela a marché, bien que pas aussi bien qu'on pourrait s'y attendre. C'est avec Elle s'appelait Sarah qu'elle a connu son premier grand succès éditorial. Toutefois cela n'a pas été paisible non plus, puisque le manuscrit qui nous vaut un film et un best seller aujourd'hui a été refusé pas moins de 40 fois par les maisons d'édition !
C'est quand elle a trouvé Héloïse d'Ormesson, petite maison d'édition peu renommée, que Tatiana s'est sentie bien et reconnue. Pour elle, Héloïse d'Ormesson est plus qu'une éditrice, c'est une amie. Elle a, avec celle qui la laisse libre de ses sujets, un partenariat amical. Point de commande, point de "deadline". Ce sont ces deux dimensions qui l'ont séduite chez cette éditrice : la grande liberté qu'elle lui laisse, et la qualité de leurs relations. Elle nous disait d'ailleurs, juste avant de nous quitter, qu'un taxi l'attendait pour qu'elle aille la retrouver et discuter de la réédition d'un de ses premiers livres, Le Dîner des Ex, chez le Livre de Poche.
Ce fut pour elle le chemin le plus long : trouver un éditeur qui aime son travail. Une fois qu'on l'a trouvé, en tant qu'écrivain, il ne reste plus qu'à écrire.
Concernant la co-édition de Manderley For Ever chez Albin-Michel et Héloïse d'Ormesson, elle dit s'être battue pour l'imposer, et elle en est ravie.
Question de langage...
Tatiana a une particularité, qu'elle nous a dévoilée avec une remarquable dextérité : elle se dit "hybride". En effet, elle parle aussi bien Français qu'Anglais, et jongle sans peine avec les deux langues, allant jusqu'à les mêler dans une même phrase. Et le plus surprenant est qu'elle n'a d'accent ni dans une langue, ni dans l'autre. Son imitation de l'accent anglais était d'ailleurs à s'y méprendre ! Elle nous a fait beaucoup rire en tout cas.
Cette espèce d'hybridation a surtout des conséquences sur son écriture, car pour le reste, elle s'adapte très bien. A Paris, elle se sent Française, à Londres, Anglaise. Mais pour l'écriture, c'est une autre histoire. Telle Docteur Jekyll et Mister Hide, la langue de ses romans s'impose à elle par phases, sans crier gare. Elle ne sait pas d'où cela vient, mais elle laisse faire !
Des "bébés de papier" en librairie
C'est ainsi que Tatiana nous a parlé de ses romans. Quand elle les voit en vrai, qu'elle les tient dans ses mains, ses livres sont comme des bébés. Elle n'est jamais blasée, c'est toujours une grande émotion pour elle de voir le premier exemplaire, tout frais sorti des presses. Pour Elle s'appelait Sarah, refusé tant de fois, elle a même versé quelques larmes.
Quand on lui demande quel livre elle aurait aimé écrire, elle dit d'ailleurs qu'il n'y en a pas, bien qu'elle en admire beaucoup. Cela l'aurait détournée de son propre "chemin d'écrivain", et donc de tous ces bébés de papier qui fleurissent dans nos librairies.
Quelques mots sur Manderley For Ever
Dernière sortie en date de notre auteur, cette biographie tient son titre d'une suggestion des éditeurs. Au début elle devait se nommer Manderley, tout court. Mais "For Ever", ça claquait bien. Et puis ça donnait un petit côté british, absent dans la langue d'écriture, mais qui caractérise Tatiana. Son titre, comme elle pour nous faire rire, mêle les deux langues. Un titre un peu hybride lui aussi (même si, j'entends bien, Manderley n'est pas un nom français !)
Et attention ! Le 2 juin prochain a lieu la remise du prix Goncourt de la biographie. Manderley est en lice avec quatre autres titres. On croise les doigts !
Par ailleurs, le choix du nom du manoir de Rebecca n'est pas anodin. Pour Tatiana, les murs et les maisons ont comme un pouvoir, une âme. C'est Daphné du Maurier qui lui a transmis cette sorte d'obsession (qui faisait rire les élèves d'ailleurs) : l'obsession des maisons. Pour elles, les maisons sont comme des personnes, avec leurs secrets. Mais attention, scoop : même si elle se dit une "obsédée des maisons", il n'y en aura pas dans son prochain roman, en germination dans le coin de cerveau qui fait naître le rêve.
Ses débuts avec les maisons d'édition n'ont pas été des plus simples. Elle s'est vue refusée une première fois quand elle était jeune, et elle a été un peu échaudée... Mais "il ne faut jamais baisser les bras", nous dit-elle. Ainsi elle a retenté l'expérience vers l'âge de trente ans, et cela a marché, bien que pas aussi bien qu'on pourrait s'y attendre. C'est avec Elle s'appelait Sarah qu'elle a connu son premier grand succès éditorial. Toutefois cela n'a pas été paisible non plus, puisque le manuscrit qui nous vaut un film et un best seller aujourd'hui a été refusé pas moins de 40 fois par les maisons d'édition !
C'est quand elle a trouvé Héloïse d'Ormesson, petite maison d'édition peu renommée, que Tatiana s'est sentie bien et reconnue. Pour elle, Héloïse d'Ormesson est plus qu'une éditrice, c'est une amie. Elle a, avec celle qui la laisse libre de ses sujets, un partenariat amical. Point de commande, point de "deadline". Ce sont ces deux dimensions qui l'ont séduite chez cette éditrice : la grande liberté qu'elle lui laisse, et la qualité de leurs relations. Elle nous disait d'ailleurs, juste avant de nous quitter, qu'un taxi l'attendait pour qu'elle aille la retrouver et discuter de la réédition d'un de ses premiers livres, Le Dîner des Ex, chez le Livre de Poche.
Ce fut pour elle le chemin le plus long : trouver un éditeur qui aime son travail. Une fois qu'on l'a trouvé, en tant qu'écrivain, il ne reste plus qu'à écrire.
Concernant la co-édition de Manderley For Ever chez Albin-Michel et Héloïse d'Ormesson, elle dit s'être battue pour l'imposer, et elle en est ravie.
Question de langage...
Tatiana a une particularité, qu'elle nous a dévoilée avec une remarquable dextérité : elle se dit "hybride". En effet, elle parle aussi bien Français qu'Anglais, et jongle sans peine avec les deux langues, allant jusqu'à les mêler dans une même phrase. Et le plus surprenant est qu'elle n'a d'accent ni dans une langue, ni dans l'autre. Son imitation de l'accent anglais était d'ailleurs à s'y méprendre ! Elle nous a fait beaucoup rire en tout cas.
Cette espèce d'hybridation a surtout des conséquences sur son écriture, car pour le reste, elle s'adapte très bien. A Paris, elle se sent Française, à Londres, Anglaise. Mais pour l'écriture, c'est une autre histoire. Telle Docteur Jekyll et Mister Hide, la langue de ses romans s'impose à elle par phases, sans crier gare. Elle ne sait pas d'où cela vient, mais elle laisse faire !
Des "bébés de papier" en librairie
C'est ainsi que Tatiana nous a parlé de ses romans. Quand elle les voit en vrai, qu'elle les tient dans ses mains, ses livres sont comme des bébés. Elle n'est jamais blasée, c'est toujours une grande émotion pour elle de voir le premier exemplaire, tout frais sorti des presses. Pour Elle s'appelait Sarah, refusé tant de fois, elle a même versé quelques larmes.
Quand on lui demande quel livre elle aurait aimé écrire, elle dit d'ailleurs qu'il n'y en a pas, bien qu'elle en admire beaucoup. Cela l'aurait détournée de son propre "chemin d'écrivain", et donc de tous ces bébés de papier qui fleurissent dans nos librairies.
Quelques mots sur Manderley For Ever
Dernière sortie en date de notre auteur, cette biographie tient son titre d'une suggestion des éditeurs. Au début elle devait se nommer Manderley, tout court. Mais "For Ever", ça claquait bien. Et puis ça donnait un petit côté british, absent dans la langue d'écriture, mais qui caractérise Tatiana. Son titre, comme elle pour nous faire rire, mêle les deux langues. Un titre un peu hybride lui aussi (même si, j'entends bien, Manderley n'est pas un nom français !)
Et attention ! Le 2 juin prochain a lieu la remise du prix Goncourt de la biographie. Manderley est en lice avec quatre autres titres. On croise les doigts !
Par ailleurs, le choix du nom du manoir de Rebecca n'est pas anodin. Pour Tatiana, les murs et les maisons ont comme un pouvoir, une âme. C'est Daphné du Maurier qui lui a transmis cette sorte d'obsession (qui faisait rire les élèves d'ailleurs) : l'obsession des maisons. Pour elles, les maisons sont comme des personnes, avec leurs secrets. Mais attention, scoop : même si elle se dit une "obsédée des maisons", il n'y en aura pas dans son prochain roman, en germination dans le coin de cerveau qui fait naître le rêve.
C'est une super opportunité que d'avoir pu discuter avec Tatiana de Rosnay ! J'ai lu peu de livres d'elle (je me souviens surtout d'Elle s'appelait Sarah, comme beaucoup de monde sûrement), et j'avais adoré.
RépondreSupprimerComment tes élèves ont-ils réagi ?
Mes élèves ont été super : attentifs, intéressés et particulièrement à l'écoute. Leurs questions étaient aussi très pertinentes. Ils ne réagissaient pas forcément à tout, tout simplement parce qu'ils ne sont pas tous des écrivains en herbe, mais ils sont sortis de cette expérience grandis. Ou en tout cas, ça leur laisse un superbe souvenir !
Supprimerah j'attends la suite !! ^^
RépondreSupprimerça vient, j'avais une demi heure devant moi toute à l'heure, je n'ai pas pu résister, alors j'ai commencé !
SupprimerLa suite avant de se coucher ce soir, normalement...
Je n'ai jamais rien lu d'elle, j'appréhende un peu, j'ai peur d'être déçue (je l'ai souvent entendu comparé à Eric-Emmanuel Schmitt dont je n'aime pas trop le style et les intrigues). Tu me conseilles de commencer par lequel?
RépondreSupprimerça dépend vraiment de ce que tu as envie de lire, parce qu'elle a écrit des choses très très variées. Mais mon préféré je crois sont "A l'encre russe" et " Rose". A toi de voir en regardant les résumés :)
SupprimerC'est sympa de partager ça avec nous sur ton blog ! Ça a dû être une bonne expérience pour tes élèves. Grâce à toi on connait un peu de l'envers du décors. Merci pour ce partage :)
RépondreSupprimerDe rien, je trouve que justement ça rajoute un truc en plus :).
Supprimermerci d'avoir partagé votre interview, c'est chouette d'en savoir plus sur cette auteure ^^ j'espère que tes élèves ont également apprécié!
RépondreSupprimerJe trouve toujours chouette de connaître les petites habitudes des hauteurs, alors si je peux partager, c'est avec plaisir !
SupprimerMon dieu ! J'ai adoré et du coup je suis d'autant plus intrigué par ce futur roman sans maison :D MERCI pour ce moment de partage <3
RépondreSupprimerJe t'en prie !! Je suis contente si ça peut permettre aux fans d'en savoir plus :p
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