samedi 19 juillet 2014

Laurence Tardieu, comme une fille


Bon, le titre "comme une fille" ne sonne pas forcément très bien, mais je voulais faire écho au premier roman de Laurence Tardieu que j’ai lu, Comme un père, et aussi à l’autre, plus récent, La Confusion des Peines. Les deux évoquent son combat pour sortir des limbes de silence qui entourent depuis une dizaine d’années la condamnation de son père. Ce père auquel elle ressemble tant, qu’elle aime tant, qu’elle chérit tant, mais qui lui échappe.
Dans le premier roman, Comme un Père, elle a inventé le personnage de Louise, jeune femme de 25 ans, dont le père vient de sortir de prison et il lui demande de l’héberger chez elle. Cette situation les rend mal à l’aise tous les deux, ils ne savent que se dire, ils s’évitent au maximum, et pourtant son père est omniprésent dans son esprit depuis toujours. Plus encore depuis qu’elle sculpte, puisqu’elle ne cesse de réaliser des têtes, des bustes et des corps d’hommes, au prix d’efforts violents parfois. Elle accouche de son père, comme Laurence Tardieu accouche de l’histoire de sa famille pour se délivrer et combler le vide dans La Confusion des Peines.
Dans ce deuxième texte, elle explique pourquoi elle a besoin de raconter l’histoire de son père, son arrestation et sa condamnation, comment est-ce que cela a bouleversé sa famille en s’ajoutant au décès de sa mère. Comment aussi tout cela a bouleversé la vision du monde manichéenne qui était la sienne, qui lui a fait voir le monde et les hommes tels qu’ils sont, complexes et instables. L’humanité ne se divise pas. Elle n’en finit pas de se tordre sur elle-même. Elle est une immense convulsion.

Au début du texte elle rapporte l’échange qu’elle a eu avec son père, dans lequel il lui demande de ne pas raconter son histoire, de se taire. Elle nous dit que dans sa famille c’est comme ça, on exprime rien, mais elle a besoin de sortir du silence. Ce texte devient une sorte de lettre au père, au moyen duquel elle essaie de se soulager de ce poids, de rejoindre son père, de combler les blancs et les vides de ce silence familial. Laurence Tardieu a une manière d’écrire qui semble de l’ordre du spasme, les mots sortent, elle ne peut les empêcher de se déverser sur la page. Chaque jour elle écrit, et rien n’est écrit d’avance. On le remarque particulièrement dans La Confusion des Peines, puisqu’après chaque espace blanc, quand l’écriture reprend, on ne peut savoir de quoi elle va parler, ce qui va émaner de cette tentative réitérée de raconter les choses. Elle se laisse guider, elle laisse son inconscient et son instinct prendre le dessus, sans savoir où cela va la mener. Elle n’a pas essayé de mettre en ordre, elle a laissé les choses venir à elle, sortir d’elle, comme Louise avec ses sculptures. J’ai bien aimé ce laisser faire, ce laisser aller, qui pour moi correspond à l’image que je me fais de la littérature. Laurence Tardieu explique d'ailleurs elle-même pourquoi elle n'aime pas ce qu'elle appelle "les vraies histoires":  je n'en veux pas des vraies histoires, elles ne m'intéressent pas les vraies histoires, écrire ça n'est pas raconter des histoires, c'est tenter d'atteindre la lisière de la vie, cette matière là, mouvante, violente, imprévisible, or la vie ça n'est pas une histoire, la vie ça ne se déroule pas, ça ne passe pas, ça se tord ça hoquette ça n'a ni début ni fin, pas de personnages, ce sont des corps qui avancent, qui tombent, qui aiment, qui ne savent pas, on avance tous en titubant, et personne n'en sort indemne, on finit par tous en mourir. Rien que dans cette phrase, on ressent ce que j'essayais de décrire plus haut, cette espèce de volonté de laisser sortit quelque chose, un flot sans digue, sans ponctuation parfois, de longues phrases dans lesquelles les mots se heurtent, sans pour autant être illisibles. 
Avec la littérature, Laurence Tardieu veut dire l'envers des choses, le côté caché, le monstre tapi sous le lit. Elle essaie de montrer ce que d'habitude on tait. Or dans sa famille, le silence était de mise, et c'est seulement grâce à un livre qu'elle parvient à le briser.

J'ai vraiment été émue et touchée par ce texte, non seulement à cause de son thème, universel et intime, mais aussi (et surtout) à cause de son rapport à la littérature, sa manière d'écrire un peu violente, vitale, néphrétique presque. Elle nous montre le processus d'écriture tel un écorché vif, avec les nerfs et les violences qui le sous-tendent. Cela m'a vraiment donné envie d'en découvrir davantage sur cette auteur, mais je me sens également très intimidée à l'idée de l'inviter pour mes élèves... je me demande même si je vais le faire, puisque ce qu'elle produit mérite mieux qu'une pure réflexion pragmatique sur la forme. Qu'en pensez-vous ?


2 commentaires:

  1. Laurence Tardieu me bouleverse à chaque lecture, elle ne me laisse jamais indifférente. J'attends toujours ses livres avec impatience...

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    Réponses
    1. Je vais bientôt lire "Puisque rien ne dure". J'espère qu'il sera à la hauteur de mes espérances, et de tout le bien que j'ai entendu à son propos !
      As-tu lu son dernier, "l'écriture et la vie" ?

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