vendredi 20 juillet 2012

Avenue des ogres fous

Avenue des Géants, Marc Dugain

Al Kenner, en plus de mesurer 2,20 mètres et d’être pourvu d’un QI qui dépasse celui d’Einstein, est psychologiquement siphonné. Le jour de l’assassinat de Kennedy, alors qu’il n’a que 14 ans, il tue ses deux grands-parents d’un coup de carabine dans le dos, avant d’être interné dans un centre psychiatrique. Contre toute attente, il va ensuite devenir une aide pour la police : son passé et sa névrose de tueur font de lui un expert en psychologie criminelle.
Mais peut-on vraiment compter sur un type comme Al, qui a tué de sang froid et nourrit encore une haine envers sa mère alcoolique ? Lui aussi d’ailleurs est adepte de la boisson et s’enfile pas moins de quatre bouteille de piquette par jour. Son passe-temps favori ? Prendre des jeunes gens en auto stop. Je réitère alors : peut-on lui faire confiance ? Bien sûr que non, me direz- vous. Mais ce serait parce que vous n’avez pas lu le livre. En effet, tout au long de son récit a posteriori, Al décrit ses actes de manière précise et fine (mais pas tous ses actes, et c’est ici que réside le génie de l’auteur !). Au détour d’une analyse freudienne de son passé, il décrit également les transformations sociales qui s’opèrent dans les années 70 et sur lesquelles il porte un jugement sans bienveillance aucune. Son regard est acéré et ses remarques acerbes à propos des nouvelles communautés hippies qui se développent un peu partout. L’amour libre, l’échange bio et végétarien, le partage des biens, la contraception, … C’est joli tout ça, plein de peace and love, mais ça ne va pas à Al, qui méprise un peu ceux qu’il considère comme des crasseux idéalistes. Il méprise également les jeunes filles de bonnes familles républicaines, sur lesquelles il fantasme pourtant, lorsqu’il les prend en stop. Fantasmer est toutefois un bien grand mot : Al est quasi insensible. Il projette pourtant de se marier avec Wendy, la fille du lieutenant de police qu’il assiste et dont il devient l’ami. Mais cette union ne se fera pas, à cause des bizarreries d’Al, mais surtout à cause des crimes atroces qu’il va continuer à commettre…
Tout au long du livre on pense Al en rédemption, on pense qu’il a été acquitté, qu’il est redevenu « normal », apte à réintégrer la société. Pourtant, les moments qui se passent après l’écriture de ce qu’Al considère comme ses mémoires nous le montrent interné. Heureux mais interné. Il passe son temps à lire, et à méditer son passé. Finalement, toujours pas normal le bonhomme.
Et si je vous disais que tout ceci est inspiré d’une histoire vraie ? Un peu à la manière d’Emmanuelle Carrère dans L’Adversaire, Marc Dugain s’est emparé de ce fait divers américain pour construire une œuvre à l’architecture remarquable et au suspense omniprésent. Toutefois n’allez pas croire qu’il s’agit d’un thriller, puisque c’est l’analyse psychologique qui prévaut.  A cette lecture, on se rend compte avec effroi à quel point le passé et les relations parentales ont une influence sur l’avenir. Bon, il est vrai qu’Al devait avoir un terrain psychologique plus que fragile. Mais ceci dit, sa mère a vraiment été dure avec lui, et ses transports de haine à la fin de l’œuvre s’en ressentent. Je vous laisse d’ailleurs le loisir de découvrir l’ampleur de l’imagination et de la folie d’Al quand il s’agit de tuer…
Cynique ? Oui, mais ce roman joue avec les nerfs de son lecteur, avec sa confiance, sa capacité à juger de la morale et du crédit que l’on peut accorder à un personnage aussi extrême. Comme le dit l’auteur à la fin de l’ouvrage, romancer un personnage, c’est le trahir pour mieux servir ce que l’on ressent de sa réalité. Al, ou de son vrai nom, Ed Kemper, est une entité tellement complexe, tellement pleine de contractions, que sa réalité ne peut être qu’un ressenti, une perception totalement subjective. Et celle de Marc Dugain, convaincante selon moi, en fait un parfait roman. 

2 commentaires:

  1. Un parfait roman. Comme tu le dis. Je me suis retrouvée tellement admirative et choquée à la fois, que ce bouquin doit encore faire un bout de chemin dans ma tête. Marc Dugain en a fait quelque chose de calme, et explosif à la fois.

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    1. C'est un truc de fou, c'est clair ! Et si je retombe dessus, je n'hésiterai pas.
      Je crois n'avoir rien lu d'autre de lui en revanche...

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