Ces derniers temps, rares sont les livres qui m’ont fait
cet effet là… Non pas seulement (sans doute) à cause de la qualité littéraire
bien moindre de certains ouvrages fort distrayants dont je vous faisais l’apologie
il y a peu ( !), mais aussi sans
doute en raison de la teneur émotive de celui-là. En plus, je suis à chaque
fois sensible aux romans qui évoquent les artistes, d’une manière ou d’une
autre (Beauvoir in Love ou Lennon en sont de bons et récents
exemples). Ce roman traite donc de Charlotte Salomon, jeune artiste juive morte
enceinte en camp de concentration, à l’âge de 26 ans. Ces quelques derniers
mots suffisent à planter le décor de ma lecture d’hier soir… Je ne me sentais
vraiment pas bien à la fin, ébranlée même. Elle m’a beaucoup
fait réfléchir à la mort, à la création, au fait d’avoir quelque chose à faire,
à créer avant de mourir. Et puis forcément, on repense aux atrocités nazies et
à l’oppression de cette époque. Merci donc, d’abord, pour ces réflexions et ces
émotions. Ceci étant, me direz-vous, il y a bien et bien d’autres livres sur le
sujet, et tous génèrent en nous ce trop plein d’horreur, d’affliction et d’émotions.
Certes. Mais celui-là a quelque chose en plus.
Je vais essayer de vous expliquer pourquoi.
Sans crier au chef-d’œuvre, je dois dire que la forme de
la prose de Charlotte est intéressante. La première fois que j’ai ouvert le
livre dans une librairie, il y a quelques mois, je l’avais aussitôt refermé. Un
roman en vers, quelle idée ! On n'est plus chez Racine, on va se perdre avec
la musicalité, et puis on ne va rien comprendre, et puis ça va être lourd, etc
etc. Je l’ai donc refermé presque avec dégoût, du moins avec déception. Je n’allais
pas lire de si tôt le dernier Foenkinos. Puis un jour je l’ai entendu parler de
son roman à la radio (forcément, en étant aussi primé, on en parle). J’ai
entendu qu’il n’avait pas essayé de faire rimer les mots entre eux, et surtout
qu’il n’avait pas réellement fait des vers. Ouf. Je me sentais déjà plus
encline à m’y intéresser. Et puis j’ai lu un article sur les exo-fiction :
néologisme disgracieux et un peu barbare, qui désigne le fait d’écrire sur un
autre (matrice spirituelle, leitmotiv obsessionnel dans le cas de Foenkinos),
tout en parlant, un peu ou beaucoup, de soi. Si quelqu’un, ou du moins la vie
de quelqu’un (et surtout d’un artiste) nous obsède, c’est sans doute parce qu’une
part de nous s’y reconnait (ou aimerait s’y reconnaître). La compréhension de
la vie de l’autre, sa mise en mots, pourrait donc permettre de mieux se
comprendre soi, ou du moins de soulager l’obsession. Bref, Foenkinos aurait
écrit un texte à la nouvelle mode, avec un style original.
Dès que j’ai pu me le
procurer (en VIP au CDI de mon lycée, ouahou, ou du privilège d’être prof de
Français ^^), je me suis lancée dans la sa lecture.
Lancée est le bon terme, puisqu’avec un style pareil, on
ne peut que se lancer et essayer de suivre le mouvement. Les phrases se
succèdent, courtes ou très courtes. Une phrase par ligne, aller à la ligne à
chaque point, c’est le principe. Ce serait le seul moyen qu’aurait trouvé l’auteur
pour se délester de ce thème qui l’obsédait. Et puis, suite à quelques
recherches, j’ai vu qu’il avait essayé d’écrire comme un Lied allemand (poème
accompagné par un instrument), ce qu’il expliquerait le pastiche de vers. Il a
peut-être aussi essayé de reconstituer quelque chose des inspirations de
Charlotte Salomon elle-même : dans Vie ?
Ou Théâtre ?, son œuvre, elle joint à ses peintures de tableaux et des
indictions musicales. Une jolie solution pour lui rendre hommage.
Je vous disais donc qu’on est comme happé par cette écriture haletante, qui fait des pauses pour repartir aussi vite, qui ne nous
laisse pas de répit et qui pourtant m’a fascinée (dans le sens où je ne pouvais
décoller du livre, je l’ai lu en deux soirs (si le temps et la fatigue l’avaient
permis, je l’aurais avalé d’un coup d’un seul)). Hier soir il me restait la
moitié à lire, et je me suis posée dans mon lit sachant que j’allais partir en
voyage, et ne retrouver la réalité qu’une centaine de pages plus tard. C’est ce
qui s’est passé, le sentiment de malaise évoqué plus haut en plus… Je m’en
serais passé, mais c’est ce qui m’a donné cette envie d’écrire, dès le
lendemain matin.
J’ai donc aimé ce roman. Non pas que son écriture, dans
le choix des mots, soit le fait d’un maestro. Foenkinos reste pour moi le type
qui écrit des livres sympas, dans un style fluide sans pour autant sombrer dans
le ridicule. Ce n’est pas de la chick-Litt (je pense au Potentiel érotique de
ma femme), ce n’est pas non plus de la grande littérature, mais ça donne
souvent à gloser (je pense à Lennon
ou à Charlotte) ou glousser (Je vais mieux).
Le style mis à part, j’ai aimé trouver quelques phrases
que j’allais prendre plaisir à citer ici, et qui m’ont permis de faire des
ponts avec ma réflexion sur l’exo-fiction.
C’est Alfred, le
professeur de chant dont Charlotte est passionnée, qui parle :
J’ai écrit un texte…
disons… très personnel.
Oui, ce livre ne
parle que de moi.
Il me semble qu’une œuvre doit révéler son
auteur.
Enfin, je n’ai rien
contre la fiction.
Mais c’est du divertissement tout ça.
Et les gens ont besoin de se divertir.
Et les gens ont besoin de se divertir.
C’est leur façon de voir la vérité.
Il me semble qu’une œuvre doit révéler son auteur. Même s’il ne
parle pas exactement de cela, je me dis qu’il y a un peu de Foenkinos derrière
cette remarque, surtout si on considère que c’est bien une exo-fiction. Les
autres phrases sur la fiction sont également intéressantes, puisque Foenkinos
écrit beaucoup de romans divertissants. Il veut donc nous montrer la vérité !
Voilà, je pense avoir
dit ce que j’avais à dire sur ce roman. Je suis heureuse d’avoir renoué grâce à
lui avec la véritable réflexion littéraire (même si, d’accord, ce n’est pas le
chef-d’œuvre du siècle, uniquement celui de l’année selon les lycéens, mais c’est
déjà bien). Je conseille donc vivement ce roman, pour sa forme originale, la
fluidité de lecture et surtout, surtout, à cause de l’histoire de Charlotte
Salomon.
Toutefois attention
aux âmes sensibles parce que tout de même, c’est un peu glauque, et ce dès le début :
Charlotte appartient à une lignée de suicidaires. Sa mère, la sœur de sa mère
(la première Charlotte), sa grand-mère, et bien d’autres encore. Et elle, elle
va mourir jeune mais en contre-pied, puisqu’elle portera la vie.
Une fort belle
histoire cependant, et un livre dont je comprends qu’on en parle à ce point.
Sans que pour
autant tout ce blabla suffise à le hisser au rang de chef-d’œuvre.
Nous avons le même avis sur ce livre. Bravo pour ta chronique!
RépondreSupprimerJe viens de me rendre compte que j'avais mal enregistré ton flux rss dans mon lecteur de flux. Erreur réparée! Je vais pouvoir te suivre assidûment. (Commentaire qui n'a rien à voir avec le livre et que tu peux supprimer si tu veux) bonne soirée :-)