Vivre à l'époque du faste de Versailles... rêve ou cauchemar ?
C'est la question qu'on peut se poser, au vue des clichés véhiculés dans les manuels d'Histoire et à la télévision. Mais qu'en est-il ? Deux livres m'ont permis de débrouiller un peu l'affaire...
La vie à l'époque de Louis XIV et encore après lui m'a toujours intriguée. Ces histoires d'étiquette, de faux-semblants, de théâtre social et de stupidité dissimulée font ressortir des facettes de l'homme qu'aucune autre époque n'a pu mettre en lumière. Etre un aristocrate à cette époque était presque pire que de vivre à la campagne en ne lavant ses vêtements qu'une fois par an. Non seulement on était sale aussi, mais on devait paraître propre et apprété. On se couvrait donc de parfum et de vêtements plus encombrants ou presque que les armures du Moyen-Age. En plus de cela, on ne pouvait être soi-même, sauf peut-être dans ses rêves... Tout le monde regardait et surveillait tout le monde. Le témoignage le plus pertinent et surtout sans langue de bois de tout cela sont sans doute les Mémoires de Saint-Simon à la plume acérée. Ce que j'ai beaucoup aimé dans les deux livres que j'ai lus, (et dont il va bien falloir que je parle au bout d'un moment !) est qu'ils faisaient souvent des liens et des références à l'ouvrage de ce sans-coeur de duc frustré (frustré parce qu'il voyait peu à peu les simples mortels, sans titre, accéder aux prérogatives autrefois réservé aux dignes descendants des nobles familles, comme pour les postes de ministres par exemples. La reconnaissance des bâtards du roi aura été le coup de grâce pour son ego ducal).
Le premier d'entre eux est Le Roi Soleil se lève aussi, de Philippe Baussant. Je l'avais déjà lu il y a quatre ans environ, et avait d'ailleurs posté un article à son propos sur mon ancien blog. Je m'y suis replongé avec autant sinon plus d'intérêt. La forme de l'ouvrage est intéressante puisqu'il s'agit pour l'auteur de gloser à partir des diverses étapes de la journée de Louis XIV. Les digressions sont nombreuses mais on ne perd jamais le fil. Le ton est léger mais le contenu documenté et précis. L'auteur bat en brèche les préjugés que l'on peut avoir sur cette période fastueuse, en nous montrant que la vie de roi n'a rien d'une sinécure : toujours se lever à la même heure, toujours suivre les mêmes rituels, et surtout toujours tout faire comme un personnage de théâtre observé par son public. Aucune liberté, que de la mise en scène, et ce jusque dans les affaires les plus intimes (sauf peut-être dans les alcôves, fautes de caméra infra-rouge sans doute). Tout se voit et tout se sait. Terrible vie ...
J'ai cette fois aussi énormément apprécié les sources à la fois historiques et littéraires de l'auteur, et son talent à convoquer chacune au bon moment. Ainsi il nous explique par exemple que ce que nous raconte Molière à propos des médecins de cette époque de charlatans n'est que trop vrai ...
Un excellent moment de lecture, encore une fois je l'ai lu très vite, et encore une fois avec un immense intérêt. C'est vraiment une pépite pour découvrir l'Histoire sans en passer par d'obscures essais.
Quelques jours après, forte de mon intérêt pour cette époque de la royauté, je suis tombée sur le livre de Chantal Thomas dernièrement sorti en poche : L'Echange des Princesses.
Je ne savais trop à quoi m'attendre, mais un livre sélectionné pour le Goncourt et qui traite de l'Histoire ne pouvait que me tenter. Je m'en suis donc emparé un matin pour ne le quitter que deux jours plus tard. Je l'ai vraiment lu d'une traite.
A quoi peut bien être dû cet engouement me direz-vous ? Sans doute au talent de romancière de cette historienne, qui elle aussi a su allier fiction et précisions historiques. Le thème en lui même n'y est sans doute pas pour rien : il traite des mariages forcés de la propre fille du Duc d'Orléans, Mademoiselle de Montpensier, princesse des Asturies, avec l'héritier du trône d'Espagne, et de la très jeune soeur de celui-ci, L'Infante (trois ans et passionnée de poupée) avec le futur Louis XV, alors âgé de 11 ans. Tout ça pour que la paix règne entre les deux pays... C'est bien utile la paix, mais on n'imagine pas la profondeur du sacrifice intime des quelques malheureuses victimes.
L'intérêt du livre tient aussi dans la narration en dyptique et en alternance des deux existences des princesses, l'une qui peu à peu devient folle et nymphomane, et l'autre qui, en plus de ses poupées, se met à adorer son mari. Mais à trois ans, peut-on être aimé d'un adolescent ? La petite Infante est touchante dans sa naïveté et dans l'énergie dépensée à plaire à la cour et à son roi. C'est d'ailleurs tout l'inverse qui se produit en Espagne : la princesse des Asturies, bien que dans les bonnes grâces de son mari (lequel demandait d'ailleurs à corps et à cri son portrait avant même de la rencontrer, et pas pour les dévotions romantiques qu'il prétendait lui accorder...), ne se fait pas du tout à la vie de la cour espagnole et sombre peu à peu dans des déviances névrotiques et perverses assez effrayantes... Deux faces d'une même médaille, vouée à la destruction.
L'auteur a du jongler avec ces deux personnalités totalement bridées par l'étiquette, ne pouvant exprimer leurs aspirations profondes. Cela a conduit la très jeune infante au repli, et la fille de Philippe d'Orléans à la folie. Pour survivre dans ce monde, il faut parvenir à aliéner son naturel à l'intérieur de soi aux prix de grandes souffrances intimes. Mais si l'on n'en a pas la force de caractère, il peut arriver que les barrières explosent et que, telle une hernie mal soignée, le naturel putréfie ne répande son fiel...
Le pire dans toute cette histoire, c'est que ce ne furent que souffrances et destructions inutiles, puisque jamais on ne parvint à faire de ces victimes expiatoires les "ventres à héritiers" qu'on attendait. Le fiasco de l'entreprise a été d'autant plus difficile pour les enfants que justement, elles n'étaient que des enfants ! A l'époque ils étaient considérés comme des "adultes en miniature", mais quand on voit à quel point la psychologie infantile influe sur le reste de l'existence, le sort de ces deux-là semble encore plus terrible...
Bref, la chair à canon n'est pas toujours celle qu'on croit, et même en temps de paix beaucoup de mal peut être fait. Les 17ème et 18ème siècles à la cour, avant la Révolution, regorgent de ces exemples de sacrifices de l'humain au profit de l'étiquette, et c'est ce qui me révolte et me fascine à la fois.
Je ne connais pas le premier livre dont tu parles. Je trouve le concept intéressant : parler et apporter des informations en fonction de l'étape de la journée. C'est vrai que ça parait fou aujourd'hui de se dire que Louis XIV s'est lui-même emprisonné dans une étiquette rigoureuse, dont chaque minute était prévue pour une activité propre. Ca rejoint ce que tu dis à la fin de ta chronique sur le roman des deux princesses : l'enfance de Louis XIV a elle aussi influé sur le reste de son existence et la Fronde l'a profondément marqué.
RépondreSupprimerJe suis moins fan des romans historiques. Je préfère lire des documentaires car certains sont aussi plaisants à lire que des romans. Mais c'est assez original de traiter de ces deux mariages forcés dans un roman, généralement on écrit sur des personnages historiques plus connus.
Voilà donc une chronique bien historique ! J'aime beaucoup cette période historique en tout cas, que je trouve passionnante et qui, même si on connait tous les désagréments de la vie de Cour, me fait toujours rêver.
Je rajoute "L'échange des princesses" à ma PAL, ce que j'aurai dû faire il y a longtemps ! J'ai hâte de le lire, j'adore l'Histoire :-)
RépondreSupprimerContente de voir que ça vous inspire, d'autant qu'il est vraiment bien !
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