dimanche 18 septembre 2016

Titus n'aimait pas Bérénice, mais Racine, oui !

Titus n'aimait pas Bérénice, Nathalie Azoulai
Après avoir vu ce titre sur le blog de Eden, et surtout lu combien elle avait aimé, je n'ai pas hésité longtemps. J'ai acheté et lu dans la foulée ce roman qui me faisait envie depuis plusieurs mois. Pourquoi ? Parce que j'adore Bérénice, j'aime de nombreuses pièces de Racine, et j'adore les réécritures de ce genre. J'avais aimé Aurélien d'Aragon, parce que la première fois qu'Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide. J'aime Bérénice de Racine que le jour recommence ou que le jour finisse. Et j'aime plus que tous les livres qui évoquent les écrivains et leur travail. Ce roman était fait pour moi. 
Pourtant je n'ai pas été transportée aussi fort que je l'aurais voulu. Certes l'auteur nous raconte avec une poésie particulière l'enfance studieuse de Racine à Port-Royal, mêlée de contrition, de versions latines et de grammaire. On découvre comment il s'est mis à écrire, d'où lui est venue cette passion pour l'alexandrin, pour le minimalisme dans la langue, les fameux 800 mots des tragédies, et l'expression particulière de son vers. Sa manière de comparer le Latin et le Français, sa recherche de la langue la plus juste et la plus grande, tout cela m'a touchée particulièrement, et j'ai aimé suivre ses réflexions - bien que tout ne m'eut pas semblé extrêmement clair à travers le style de l'auteur. 
On comprend aussi pourquoi Phèdre est si sombre, Néron si fou et Bérénice si malheureuse. Et aussi pourquoi, finalement, ce sont aussi de grands personnages, partagés entre deux éthos. Phèdre est très sombre, c'est un monstre elle le dit, mais elle lutte à cause de l'amour. L'amour qui est d'ailleurs au centre des réflexions de notre auteur : peut-on raconter ce qu'on n'a pas (encore) vécu ? Et quand on le connaît, le sentiment est-il semblable pour tous, universel ? Il va jusqu'à interroger plusieurs femmes pour parfaire sa propre carte du tendre et mieux mettre en scène les âmes passionnées dans ses pièces. Un amour qui s'oppose aux valeurs cornéliennes, qui remplit tout, cause tout, et souvent le pire.
Par ailleurs, et c'est ce que j'ai particulièrement apprécié, ce roman illustre parfaitement la chronologie de la production de Racine : d'abord de grandes tragédies assez ordinaires, puis Andromaque pour le sujet antique, Bérénice comme un ovni, enfin Phèdre, le choc suprême, et puis Britannicus pour lutter contre Corneille. A la fin c'est encore Dieu qui semble triompher, avec les tragédies sacrées commandées par Madame de Maintenon. Il est très plaisant aussi de le voir graviter autour de ces noms si connus que son Molière, Corneille, La Fontaine et Boileau. Qu'on connait de nom finalement, mais qui là prennent vie, consistance, dans leurs qualités mais surtout dans leurs défauts. Il en va de même pour Racine, qu'on appelle ici Jean : les auteurs, qu'on porte au pinacle aujourd'hui, ont été avant tout des hommes, avec leurs aspirations, leurs désirs, leur cupidité, leur ambition. Et c'est tout cela qu'on découvre dans ce roman, mais de façon un peu elliptique. Peut-être était-ce le désir de l'auteur que de se rapprocher d'un style particulier, comme l'a fait Racine... Pour approfondir tous ces sujets, je vous invite à lire la chronique d'Eden, si bien faite, si intelligente, si pertinente (comme toujours !). Elle me rappelle ce que j'essayais de faire au début du blog, quand j'étais étudiante. Et je peux te dire que tu y arrives plus que bien, mieux que moi au même âge et même plus !

Pour ma part, je vous disais que quelque chose avait manqué... C'est justement ce petit quelque chose qui fait qu'à chaque fois j'adore les romans qui évoquent le parcours d'un écrivain, sa manière de se mettre au travail, comment il vit au quotidien. Mais là c'était souvent trop elliptique, trop sibyllin parfois... Bref, je n'ai pas été totalement transportée et ai même eu l'impression parfois de peiner à comprendre ce que cherchais à dire l'auteur. Sans doute n'avais-je pas non plus le bagage nécessaire pour comprendre toutes les allusions mais quand même, j'ai étudié en profondeur trois des grandes tragédies de Racine. Alors pour ceux qui n'ont lu que pour le plaisir, les messages "codés"  du roman ne doivent pas être une mince affaire ! 
Malgré tout ce furent de bons moments de lecture, qui se sont un peu éternisés. Je reste ceci dit contente d'avoir acquis ce roman, et il m'a donné envie de me plonger ou replonger dans certaines de ses tragédies. Un bon bilan donc, malgré tout :). 

10 commentaires:

  1. Eden l'âme des mots20 septembre 2016 à 07:21

    J'ai lu ta chronique dimanche, Saleanndre, puis j'ai vu ton commentaire et oui, il fallait que je vienne ici. Depuis j'essaie d'écrire un commentaire qui ne parait pas trop niais car tu ne peux pas savoir à quel point tes mots m'ont touchée ! J'étais presque sous le choc en lisant ta chronique, car c'est au delà de tout ce que je pouvais imaginer. Surtout venant d'une personne ayant ton parcours...
    Et là, les mots me manquent... Juste merci, car ça me transporte de joie et atténue plusieurs de mes doutes. Pour cela, je t'en suis très reconnaisante !

    Mais Racine dans tout ça ? Je suis désolée que tu n'aies pas eu de coup de coeur ( et c'est peut être de ma faute haha ), mais je trouve que tu résumes très bien le roman, j'aime ton côté synthétique, précis, pointu et tu as trouvé le mot qui me manquait : elliptique. C'est exactement ça !

    J'aurais aimé lire ce roman avec ton bagage culturel, car il est certain que je n'ai pas perçu toutes les petites références, mais ce sera une raison pour relire cette bio plusieurs fois !

    Encore mille fois mercis, me mentionner me touche beaucoup !

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    1. Tu es tellement adorable !! et je suis ravie de t'avoir fait ce plaisir. Il y a 6 ans, quand j'ai commencé le blog, j'aurais aimé que quelqu'un me dise des choses comme ça. Donc je n'ai pas hésité, et surtout je le pense très sincèrement. Que ça atténue tes doutes me fait encore plus plaisir. Je suis ravie !

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  2. Il faisait partie des romans qui m'intriguaient de la rentrée littéraire. Il faudrait que je le lise à la bibliothèque, cela peut être très intéressant. Ta critique me donne en tout cas bien envie. J'adore Racine, sauf...sa pièce "Bérénice" je dois avouer!^^ J'avais détesté l'étudier lors de la prépa, alors que j'avais été passionnée par Bajazet, Phèdre et surtout surtout Andromaque, ma pièce préférée!!
    cela peut-être me faire changer d'avis...

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    1. Au contraire pour ma part j'ai aimé Racine grâce à Bérénice !! Cette pièce est juste formidable :). Et je fais étudier Phèdre à mes élèves depuis 4 ans et ne m'en lasse pas. Sinon je ne connais que très mal Andromaque et pas du tout Bajazet. J'ai du retard à rattraper :p
      Tu peux effectivement tenter sans souci ce roman comme tu connais bien Racine. C'est essentiel pour vraiment l'apprécier (dommage d'avoir un roman aussi élitiste mais bon...).

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    1. Je te comprends c'est carrément élitiste. Mais moi ça m'a rappelé de bons souvenirs d'études :)

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  4. J'avais repéré ce titre lors de la rentrée littéraire l'année dernière mais je ne l'ai toujours pas lu. C'est dommage qu'il t'ait manqué un petit quelque chose. Avec ta chronique, je me dis qu'il faudra que je relise "Racine" de Roland Barthes pour me remettre les pièces de Racine en mémoire (les années de prépa commencent à s'éloigner !). "Bérénice" est ma pièce préférée de Racine, alors quand j'avais vu ce titre, j'étais forcément intriguée (surtout que pour moi, Titus aime Bérénice, et donc j'aimerais bien savoir pourquoi ce titre ^^). En tout cas, ta chronique me rappelle que je ne dois pas oublier ce livre !

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    1. Exactement comme toi, j'adore Bérénice et oui Titus l'aime évidemment ! (on a décidément les mêmes goûts !)
      ça fait plaisir de temps en temps de relire des livres en rapport avec la littérature de nos études. Et je n'ai jamais lu l'essai de Barthes, je devrais sans doute. Enfin si, sûrement des extraits comme Racine était au programme du concours quand je l'ai passé, mais pas de manière exhaustive. Merci de me rappeler à mes devoirs :p
      Et aussi : juste avant de poster ce commentaire je viens de passer chez toi et de voir que tu avais aussi succombé à The Girls. Du coup je n'ai plus résisté et l'ai commandé... en VO. ça me fait peur, mais ce sera un sacré challenge :)

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  5. Je n'ai jamais lu de Racine alors ce roman me fait très peur, surtout s'il y a beaucoup d'allusions sans explications concrètes. Je devrais faire une session de rattrapage un jour, je n'ai pas fait d'études supérieures en littérature alors toutes ces références me manquent.

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    1. Pour lire ce roman clairement oui c'est mieux d'avoir des références, mais ça peut aussi constituer une bonne entrée en matière pour lire Racine (même si je te conseille quand même de lire au moins Bérénice avant, parce que c'est quand même obscur parfois pour qui ne connait pas...). Bref oui, c'est un livre assez élitiste en fait...

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