jeudi 26 juillet 2012

Bye Bye Blondie, bonjour Virginie !


Bye, bye Blondie, Virginie Despentes

Dès qu’un roman est adapté au cinéma, forcément, il fait plus de bruit, et plus d’émules. C’est ce qui s’est passé pour moi. Peut-être cependant que je l’aurais lu quand même un jour, parce qu’Apocalypse Bébé m’avait vraiment plu. Mais je ne l’aurais sans doute pas lu cette année. Enfin je n’en sais rien ; trêve de spéculations, passons aux choses sérieuses : Bye, bye Blondie, pour ce qui ne connaîtraient pas, c’est quoi ?
C’est l’histoire de Gloria, de son vrai nom Florence, mélange de punk junkie, envoyée très jeune en HP comme elle dit (hôpital psy, comme on dit aussi), pour ses accès de violence. Elle est un peu barjo Gloria, en marge, punk quoi. Et là bas elle rencontre l’amour. On peut penser que l’histoire sera niaise mais il n’en est rien, grâce au style coup de poing de l’auteur. Je vous explique. En refermant le livre en cours de lecture, je me suis surprise à penser : c’est dingue de retranscrire aussi bien les pensées et le langage d’une ado rebelle. Mais en reprenant ma lecture, je me suis rendue compte qu’en réalité, faute d’homodiégèse (récit à la première personne), on était dans une focalisation alternant interne et externe. L’auteur retranscrit certaines des pensées du personnage, comme si l’on était dans sa tête, tout en nous racontant l’histoire. Elle use de mots très « punk » et « in », le langage est cru, les pensées et les actes à la limite du cruel. C’est sensuel aussi, parce qu’il y a de l’amour quand même. Bref, l’histoire prend un certain relief très punchy comme on dit, même si parfois c’est un peu lassant de lire des mots en verlan et autres tournures étranges un peu désuètes. En effet le roman est constitué en son centre d’un flash back sur l’adolescence de Gloria, dans les années 80. Au moment du récit, elle a trente cinq ans. La fleur de l’âge, et pourtant une même folie adolescente ; une folie violente et agressive. Et c’est à cet âge improbable, où les autres en sont au stade métro-boulot-dodo-biberon (ou école) qu’elle retrouve Eric, son amour d’HP. Et là, tout change pour elle, quoi que… le naturel revient souvent au galop, et ce qui est pour beaucoup une affaire de crise d’adolescence est pour Gloria une plaie qui va lui compliquer la vie.
Un bon roman, bien écrit (malgré un jeu étrange avec la ponctuation et la syntaxe, un peu inutile selon moi, les mots suffisant à retranscrire le style jeun’ss des années 80…), dynamique et qui tient en haleine. Malgré ses failles béantes, je me suis beaucoup attachée au personnage de Gloria, qui cherche le bonheur en luttant comme elle peut contre ses démons. Eric est également chouette dans son genre. Des personnages complexes, pas trop stéréotypés, dont le langage est retranscrit dans toutes ses variations et subtilités. Une histoire d’amour comme on en voit peu, et la variété, ça fait du bien !

vendredi 20 juillet 2012

Un pendant féminin à notre Etranger

Thérèse Desqueyroux, François Mauriac 

Tuer sans raison, sans préméditation, dans la torpeur d’une après-midi d’été, quand tout le monde s’agite autour de soi, quand tout le monde craint un incendie qui n’a pas pris, alors que le drame se déroule sous leurs yeux ; tuer ainsi semble inhumain, impossible, inconcevable. C’est pourtant ce qu’a fait Thérèse. Thérèse dont le procès a eu lieu, dont le destin est scellé : non-lieu. Des mains de la justice, elle passe dans celles, impitoyables, de son époux, Bernard, la victime. Si tous veulent garder la face, la vengeance malignement ourdie ne leur fait pas peur.
Les monstres dans l’histoire ne sont peut-être pas ceux qu’on croit.
Alors que son procès est terminé, Thérèse revit, dans le train qui la ramène auprès de son mari, son enfance, son passé, sa vie. Comme si elle cherchait, dans ces limbes, à trouver la raison de son acte, une origine quelconque, quelque chose qui puisse justifier ce geste malencontreux qui aurait du coûter la vie à ce mari plat, conventionnel, insensible. Elle prépare également sa défense, pour quand elle le verra. Il lui demandera sûrement pourquoi elle a fait cela. Mais non, il ne le lui demandera pas…
Dans une sorte de monologue intérieur au présent de narration, l’auteur nous présente les pensées de Thérèse, ses souvenirs. Elle nous parle de son amie Anne, de sa passion pour Jean, de ses chaudes après-midis ennuyeuses au milieu de la lande. Thérèse revit son passé parce que d’avenir, elle n’en a pas. Elle est acculée à un destin, destin qui, comme dans une tragédie, devait advenir et contre lequel elle ne pouvait lutter. Pourquoi laisse-t-elle Bernard boire ce verre dans lequel trop de gouttes ont été versées ?
Thérèse revoit Bernard, la tête tournée, écoutant le rapport de Balion
Tel L’Etranger de Camus, elle a agi sans penser, en proie à une force ayant pris la forme de la torpeur. Le soleil, les sensations violentes ont eu raison du coup de feu sur l’Arabe. Ici, c’est le feu, l’agitation ambiante et l’indifférence de Thérèse qui l’ont acculée à son destin. Comme lui, elle a été humaine, trop humaine ; la nature et la volonté de vivre heureuse ont pris le pas sur la raison, les conventions. Toujours Thérèse avait parue étrange : on ne disait pas d’elle qu’elle était belle, mais qu’elle avait du charme. Hors conventions qu’elle était.
Cette femme étrange, tout au long du roman, sombre, descend vers le tombeau. Elle ne peut plus rien, elle est acculée. Ses bourreaux sont ceux qui l’ont aimée ; ses proches sont ceux qui l’enterrent vivante, dans cette maison d’Argelouse, village retiré, loin de tout, où il fait froid et sombre.
Argelouse est réellement une extrémité de la terre ; un de ces lieux au-delà desquels il est impossible d’avancer […].
Aux confins du monde, ainsi esseulée, mise au banc de la société, elle se laisse dépérir. Elle n’a plus que la parole pour vivre, et de celle-là même, elle ne s’en sert pas. Elle n’est plus qu’un corps moribond. Sa vieille tante, Clara, la sourde, ne supporte pas cette torture de voire celle qu’elle a élevée ainsi enterrée vivante, si froide et sans vie. Elle préfère se laisser mourir. Ce personnage est d’ailleurs l’un des plus attachants du roman. Elle n’entend rien aux conventions, de même qu’elle n’entend pas les gens parler. Elle cherche paix et silence, elle ne joue aucun rôle puisque sans bruit, le théâtre n’existe pas.
Thérèse a peut-être voulu donner du piquant à sa vie, réveiller l’humanité de son mari enfermé dans ses conventions en commettant son meurtre. Elle a flirté avec son destin, elle a joué le tout pour le tout, sans même s’en rendre compte. Elle est un personnage de tragédie. Mais dès lors qu’elle a approché la mort, on lui propose de revivre, de trouver un nouveau costume, lequel elle s’offre avec un certain plaisir pathétique. Elle se farde, se montre, fait front au destin que lui imposent les hommes cette fois : celui de mourir de leur main, sous le couperet de leur doxa rigide et vile. Préférant l’introspection et la solitude au babillage de sa fille, n’hésitant pas à flirter avec l’amant de sa meilleure amie, Thérèse se distingue de cette masse abêtie qui l’entoure, la nargue et veut sa mort. Par là-même, en se distinguant ainsi des autres, elle conquiert sa pleine puissance de personnage.
C’est ainsi qu’à la fin, fardée et esseulée, elle parcourt les rues de Paris, telle une des ces petites vieilles baudelairiennes, qu’on prend en pitié mais qui portent en elles un charme certain. Cette veuve qu’elle eut voulu être, elle le devient par le pouvoir de la fiction, et celui de notre imaginaire.

Avenue des ogres fous

Avenue des Géants, Marc Dugain

Al Kenner, en plus de mesurer 2,20 mètres et d’être pourvu d’un QI qui dépasse celui d’Einstein, est psychologiquement siphonné. Le jour de l’assassinat de Kennedy, alors qu’il n’a que 14 ans, il tue ses deux grands-parents d’un coup de carabine dans le dos, avant d’être interné dans un centre psychiatrique. Contre toute attente, il va ensuite devenir une aide pour la police : son passé et sa névrose de tueur font de lui un expert en psychologie criminelle.
Mais peut-on vraiment compter sur un type comme Al, qui a tué de sang froid et nourrit encore une haine envers sa mère alcoolique ? Lui aussi d’ailleurs est adepte de la boisson et s’enfile pas moins de quatre bouteille de piquette par jour. Son passe-temps favori ? Prendre des jeunes gens en auto stop. Je réitère alors : peut-on lui faire confiance ? Bien sûr que non, me direz- vous. Mais ce serait parce que vous n’avez pas lu le livre. En effet, tout au long de son récit a posteriori, Al décrit ses actes de manière précise et fine (mais pas tous ses actes, et c’est ici que réside le génie de l’auteur !). Au détour d’une analyse freudienne de son passé, il décrit également les transformations sociales qui s’opèrent dans les années 70 et sur lesquelles il porte un jugement sans bienveillance aucune. Son regard est acéré et ses remarques acerbes à propos des nouvelles communautés hippies qui se développent un peu partout. L’amour libre, l’échange bio et végétarien, le partage des biens, la contraception, … C’est joli tout ça, plein de peace and love, mais ça ne va pas à Al, qui méprise un peu ceux qu’il considère comme des crasseux idéalistes. Il méprise également les jeunes filles de bonnes familles républicaines, sur lesquelles il fantasme pourtant, lorsqu’il les prend en stop. Fantasmer est toutefois un bien grand mot : Al est quasi insensible. Il projette pourtant de se marier avec Wendy, la fille du lieutenant de police qu’il assiste et dont il devient l’ami. Mais cette union ne se fera pas, à cause des bizarreries d’Al, mais surtout à cause des crimes atroces qu’il va continuer à commettre…
Tout au long du livre on pense Al en rédemption, on pense qu’il a été acquitté, qu’il est redevenu « normal », apte à réintégrer la société. Pourtant, les moments qui se passent après l’écriture de ce qu’Al considère comme ses mémoires nous le montrent interné. Heureux mais interné. Il passe son temps à lire, et à méditer son passé. Finalement, toujours pas normal le bonhomme.
Et si je vous disais que tout ceci est inspiré d’une histoire vraie ? Un peu à la manière d’Emmanuelle Carrère dans L’Adversaire, Marc Dugain s’est emparé de ce fait divers américain pour construire une œuvre à l’architecture remarquable et au suspense omniprésent. Toutefois n’allez pas croire qu’il s’agit d’un thriller, puisque c’est l’analyse psychologique qui prévaut.  A cette lecture, on se rend compte avec effroi à quel point le passé et les relations parentales ont une influence sur l’avenir. Bon, il est vrai qu’Al devait avoir un terrain psychologique plus que fragile. Mais ceci dit, sa mère a vraiment été dure avec lui, et ses transports de haine à la fin de l’œuvre s’en ressentent. Je vous laisse d’ailleurs le loisir de découvrir l’ampleur de l’imagination et de la folie d’Al quand il s’agit de tuer…
Cynique ? Oui, mais ce roman joue avec les nerfs de son lecteur, avec sa confiance, sa capacité à juger de la morale et du crédit que l’on peut accorder à un personnage aussi extrême. Comme le dit l’auteur à la fin de l’ouvrage, romancer un personnage, c’est le trahir pour mieux servir ce que l’on ressent de sa réalité. Al, ou de son vrai nom, Ed Kemper, est une entité tellement complexe, tellement pleine de contractions, que sa réalité ne peut être qu’un ressenti, une perception totalement subjective. Et celle de Marc Dugain, convaincante selon moi, en fait un parfait roman. 

Dur dur d'être une Première Dame

Une si belle image, Katherine Pancol  

Il y a du y avoir bien des biographies de Jaqueline Kennedy : sa vie auprès du Président, l’assassinat, sa vie après, sa manière de gérer ses apparitions en public, sa notoriété, ses enfants et j’en passe. Mais une biographie qui montre l’envers du décor, les dessous du masque de la belle dame dynamique, souriante et accessible, il y a du en avoir peu.
Dans ce roman-biographie, Katherine Pancol dresse le portrait en négatif de la belle image type papier glacé que Jackie cherche à montrer à tous, tout le temps. Elle la montre triste, subissant le désamour de sa mère et l’amour immense mais mal distribué de son père. Toute sa vie ne sera qu’une lutte pour d’un côté retrouver cette figure du père auquel elle n’a eu de cesse de tenter de plaire, et de l’autre fuir les artifices qui sont ceux de sa mère. Elle va plus ou moins réussir des deux côtés ; mais là est bien le problème : cette réussite sera pleine de nuances.
Avec Kennedy, l’entente sera cordiale, sans plus. Rien à voir avec cet amour paternel après lequel elle court sans relâche. Il a un trop fort caractère pour s’attacher, et court les femmes. Le couple vivra ses moments de plus grande connivence peu avant l’assassinat de Dallas, quand le président aura compris o combien son épouse est un faire-valoir de prix. Pour oublier peines et sautes d’humeur, elle va finir comme sa mère par s’intéresser à la décoration et refaire celle de la Maison Blanche. Elle y restera peu de temps mais le résultat sera probant. Les vieux démons familiaux réapparaissent sans cesse. On l’a trop privé de liberté dans sa jeunesse, elle n’a pas pu se réaliser comme elle l’aurait voulu. Derrière son masque, elle n’est que l’ombre de ce qu’elle aurait pu être.
Ses relations avec les membres du clan Kennedy sont quant à elles plus ou moins houleuses. Toutefois, même après la mort de son mari, Jackie va continuer la politique ; ils ont bien compris combien elle était précieuse pour leur image. Cette « si belle image » qu’elle montre à tout va, au grand public surtout, cette image de l’Amérique lisse, propre, nette, brillante, lumineuse. Jackie a fait rêver les femmes de son temps, qui pensaient qu’elle avait la vie idéale. Or ses seuls idéaux, ce sont ses enfants. Jackie, sous son image d’icône, est avant tout une mère. Non pas Marylin Monroe, mais plutôt la madone. Une belle image aussi.
Un livre que j’ai beaucoup aimé. Le premier de cette auteur d’ailleurs, mais je crois qu’il se distingue de ses thèmes habituels. La couverture du livre de poche est très bien choisie je trouve : on a l’impression qu’on pourrait voir en négatif justement la véritable image qui se dissimule sous le papier glacé et les couleurs pimpantes. A lire pendant les vacances, ou même n’importe quand !
Lire ce livre m’a aussi donné envie d’en savoir plus sur les Kennedy, et plus particulièrement l’assassinat de Dallas. La vidéo qui montre le président s’effondrant sur son épouse est plutôt terrible…

mercredi 18 juillet 2012

Un classique au goût du jour

Bel Ami, Maupassant

C’est vrai qu’il est très délicat d’écrire un article sur un roman aussi connu, aussi étudié, autant lu. On a le sentiment que tout a été dit, écrit, analysé, bref, qu’on ne pourra jamais apporter quoi que ce soit de nouveau. Ce sentiment est réel ; je n’apporterai rien de nouveau à l’affaire. Pourtant que ne me priverai pas d’écrire ce que j’ai pensé, aimé, découvert dans ce roman que j’ai lu avec beaucoup de plaisir, pour la seconde fois.
Gorges Duroy, celui qui deviendra Bel Ami, est un séducteur : il séduit tout, et tout le monde. Femmes de tous âges, prenez garde. Aucune de vous ne résistera à ces petites moustaches, à ce sourire, à cette allure. Même sans le sous, Georges plaît, et il le sait. Attention aussi à vous, lecteur… l’écriture de Maupassant, dès l’incipit, laisse toutes les clés pour vous entraîner dans le labyrinthe subtil de l’ascension de ce fameux arriviste. On sait qu’on marche vers le haut, on se laisse emporter, presque emprisonner par ce destin implacable, mais les heurts et les rencontres rendent ce roman de l’achèvement sans pareils.
Des heurts, il y en a moult : le manque d’argent, la médiocrité du journaliste en herbe, la faim, le désespoir, la honte de ne pas savoir comment se comporter dans cette société. Le miroir est là pour le rappeler : Duroy n’est pas de cette trempe. Avec des parents paysans, il n’a pas connu les salons où l’on cause et les dîners par lesquels on devient. Pourtant, peu à peu, le reflet dans le miroir se transforme, et Georges devient comme eux, et pas seulement en apparence. Tout son être se meut en un être de passions : argent, pouvoir, désirs. Grâce à sa séduction et aux nombreuses (et heureuses !) rencontres, il finit par arriver.
Des rencontres donc. Il y en a également beaucoup, et heureusement ! Tout d’abord cet ami lors de l’errance dans la ville ; c’est lui qui va introduire Georges auprès du personnel du journal de Forestier. De là, invitation pour un dîner mondain. C’est là que toutes les rencontres se font, toutes à la fois : Clotilde, sa jeune fille, Madeleine et j’en passe. Des femmes surtout, et surtout celle qui va être à l’origine de la fameuse proposition d’article. Un article sur l’Algérie…
Mais Duroy n’a fait que du droit. Il est incapable d’enchaîner élégamment trois idées entre elles. Plumitif, il requiert l’aide de Madeleine Forestier, écrivaine en chef d’une bonne partie du journal. Mais ça c’est comme le reste : même si ce sont les femmes qui en réalité détiennent le pouvoir, on le cache. Virilité oblige. En tout cas, l’article est bon, forcément. Georges connaît son premier succès. Mais il n’y a que cela qui l’intéresse ; alors, quand il s’agit de continuer sa chronique quelques jours plus tard, même galère. La muse du journaliste n’est évidemment pas venue habiter sa plume.
De là s’enchaînent invitations et rencontres, premiers émois, premières passions. D’abord avec une prostituée rencontrée au théâtre ; ensuite avec Clotilde. Sans le sous, il a du mal à divertir cette femme du monde. Il peine à l’emmener ne serait-ce que boire une grenadine sur le coin de table d’une gargote. Alors c’est elle qui finit par lui donner de l’argent, en cachette. Voilà Georges Escort-Boy. Néanmoins il semble qu’il ait quelques sentiments pour cette femme sensuelle et amusante… ce sera bien la seule.
Pour réussir à Paris, on le sait, il faut avoir un nom, se marier. A la mort de Forestier, Madeleine épouse Georges. Aucune passion, aucun amour : tout est fade, frasques et pouvoir. Il prend la tête du journal. Il arrive Du Roy, il arrive. Toutefois il lui faut également le désir. Puisque cette femme ne le contente pas sur ce point, autant regarder ailleurs. Mais pas dans n’importe quelle sphère ; toujours choisir celles qui sont d’influence. Et voilà notre homme qui se marie une seconde fois, avec la fille d’un homme de pouvoir.
What else ?
On a ici incarné l’arrivisme, sous le manteau de la séduction et du désir. Duroy, ou comment réussir à Paris, au XIXème siècle, par l’intermédiaire des femmes. Le tout sous la plume d’un grand Maupassant, qui peint avec précisions les circonvolutions et les stratégies de cette âme maligne, séductrice et, disons-le, chanceuse. Le Rastignac du conteur.
On peut ne pas aimer Bel Ami ; c’est vrai qu’il est profiteur, trompeur, superficiel et avide de pouvoir. Mais pourtant, comme on sait ce qu’il a été, à savoir un garçon sans le sous attiré par ce qui brille, on peut se surprendre à suivre avec passion, nous aussi, les aventures de cet homme si humain.

Invisible, le dernier Paul Auster

Invisible, Paul Auster  

J’ai encore une fois beaucoup aimé ce nouveau roman de Paul Auster, d’autant plus qu’encore une fois, son héros n’est autre qu’un écrivain. Je les trouve fascinantes ces figures d’écrivain. Il leur arrive toujours des aventures hors du commun, ils sont tourmentés, étranges et étrangers au monde qui les entoure, que pourtant ils traduisent sur le papier. Ce sont un peu des marginaux, dans leur vie comme dans leur tête. Bref, ce sont des personnages tout trouvés !

L’écrivain-poète nous raconte dans ce roman à la construction complexe (comme souvent avec Auster, si on pense à Trilogie New-Yorkaise par exemple) les deux principaux évènements qui ont jalonnés sa vie : sa rencontre avec Rudolph Born et ses relations complexes avec sa sœur.
Dans la première partie de l’ouvrage, « Printemps », il est jeune, plein d’ambition, et étudie la poésie à la fac. C’est là qu’il va rencontrer Born, lequel va lui promettre carrière, articles, et autres monts et merveilles. Toutefois, comme on s’en doute, tout ne tourne pas comme il le souhaitait, et le pauvre jeune poète aux illusions finit par les voir perdues. Un meurtre, une passion non partagée, un exil… Voilà ce qui arrive quand on est aux prises d’un homme tel que Born, fort en gueule et influent. Puis vient l’ « été ». Partie plus délicate puisque son auteur, vieillissant, commence à faiblir. Notre narrateur a en effet plus de quatre-vingt ans quand il rédige ces sortes de mémoires. Ce sera donc son ami James Freeman qui, grâce aux notes plus ou moins éparses que notre héros lui aura envoyées, réécrira son histoire. O combien les mémoires se rapprochent alors de la fiction ! Une écriture à trois mains donc (Auster, son héros et Born, lui même auteur). Une construction complexe, ne vous l’avais-je pas dit ? C’est dans cette partie qu’il nous raconte ces fameuses relations avec sa sœur. Des relations d’amour qui iront jusqu’à l’inceste. Je n’en dirai pas davantage, mais c’est cru, fort, poignant. Je n’avais jamais rien lu de tel auparavant.
Pour le reste, c’est le récit d’un séjour à Paris et des raisons de son exil qui nourrissent la fin du roman. Beaucoup moins captivante selon moi. Peut-être est-ce du à la prise en main du récit par Freeman, qui n’a pas les souvenirs du narrateur. Peu à peu l’histoire comme son héros se délitent, laissant la place à des bribes de vie des personnages secondaires. Quand le narrateur est mort, l’histoire a selon moi perdu de sa saveur. Peut-être que j’étais fatiguée de lire aussi ; les moments forts le sont tellement jusqu’aux trois quarts, alors le rythme est moins intense, l’intérêt et la concentration peut-être aussi. Quoi qu’il en soit, ce fut un fort moment de lecture, et je ne mâche pas mes mots. Fort de par l’écriture, la structure, et les thèmes traités. Fort aussi dans sa dimension testimoniale d’un homme dont le destin d’être et de poète semble avoir été tracé dès sa prime jeunesse, avec toutes ces aventures qui ont été siennes.
Un roman que je conseille, et tant pis si la fin vous barbe un peu J

mercredi 11 juillet 2012

Lectures de début d'été

Pour commencer les vacances en beauté, rien de tel que des livres courts, mais remarquables. A vous de lire!

Zarbie les yeux verts, Joyce Carole Oates

Même si c’est un roman pour ado, Zarbie les yeux verts est un roman profond, aux personnages attachants et à l’intrigue presque trop réaliste. En effet il s’agit du déchirement du couple que forment les parents de Francesca, alias Frankie, alias Zarbie les yeux verts. Ce dernier surnom lui vient de ce fameux soir où elle a manqué se faire violer dans un coin sombre par un ado obsédé. Depuis, elle lutte. Elle s’efforce de ne pas craquer face aux absences de sa mère, aux disputes de ses parents, aux sautes d’humeur de son célèbre père, le commentateur sportif Reid Pierson. Elle essaie même de trouver le courage d’aider sa jeune sœur à affronter ce calvaire familial. Bref, Zarbie oui, faible non.
Joyce Carole Oates parvient à faire de ce drame adolescent un véritable tableau psychologique et social de l’Amérique qui cache sous le coal et les strass les pires vices, les pires failles, les pires blessures. L’analyse est fine, le point de vue de Zarbie reste celui d’une ado, mais dans toutes ses subtilités. Pas trop de clichés, un style fluide, remarquable parfois. Un bon roman, court en plus. Bref mais intense, comme on dit !

Vers le Sud, Dany Laferrière

C’est la construction remarquable de ce roman qui m’a le plus touché. L’entrelacement des intrigues amoureuses, dans une ronde effrénée où les protagonistes sont tour à tour blancs ou noirs, tant pour leur couleur de peau que pour leur manichéisme vacillant. Il y a les escort boys noirs, longilignes, félins. Et puis les femmes blanches, qui leur succombent à tous les coups. Il y aussi les filles du pays, de Port au Prince. Et tout ce petit monde se croise, surtout à l’horizontal. Pas seulement dans les draps, mais aussi sur le sable, la moquette, la banquette,… Ce livre parle d’amour, de sexe et d’universalité. Le sud a un attrait sensuel sur tous ces personnages de racines diverses, et tous les subissent, sans distinction. On ne peut que aimer.