lundi 21 mars 2016

Un article pas comme les autres

Interviewons un poëte : Nicolas Grenier 

Je ne connaissais pas du tout Nicolas Grenier avant qu'il ne me contacte. Je connaissais encore moins sa poésie, et je dirais presque, la poésie en général. Donc quelle surprise qu'il me demande une interview ici ! Mais heureuse de l'expérience, et intriguée par le mêlange science et poésie de son nouveau recueil, je me suis laissée tenter...

Rosetta de Nicolas Grenier m'a d'abord déstabilisée. Le haïku d'abord ; la poésie n'est pas mon domaine de prédilection, alors le haïku… De plus, le thème est plus que surprenant : la sonde spatiale Rosetta… On en a beaucoup entendu parler, c'est certain ; mais de là à faire de la science un poème, c'est une autre histoire.


Nicolas Grenier y parvient pourtant, en fusionnant avec aisance vocabulaire scientifique et technique, et métaphores poétiques. Il crée ainsi une alliance entre tradition et modernité, qui n'est pas sans rappeler Baudelaire, quand il évoque cette dernière comme étant pour lui « le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l'art, dont l'autre moitié est l'éternel et l'immuable ». La démarche du Poète Moderne n'a pas changé en deux siècles : associer l'improbable du présent avec la persistance de la tradition.

La forme du haïku est sans doute la meilleure qui rende cette fugacité des choses modernes, selon sa définition. Il est dit que le haïku est « un bref poème visant à dire et célébrer l'évanescence des choses ». Cette définition n'est sans doute pas la seule qui soit, elle n'est sans doute pas complète, mais j'ai trouvé qu'elle s'adaptait bien au thème du nouveau recueil de Nicolas Grenier : cette sonde qui s'envole, laissant des morceaux d'elle-même derrière elle, pour nous renseigner sur l'ailleurs. Et miracle ! Cette comète qui doit nous en apprendre davantage sur nous-même, et qui pourtant est vieille de milliers d'années, côtoie la pointe de la technologie. La métaphore de l'Ancien et du Moderne est filée jusqu'au bout !

À travers une poésie très narrative malgré sa brièveté, Nicolas Grenier nous fait partager les aventures de Rosetta et Philae, comme s'ils étaient des nôtres, nos amis, nos héros envoyés pour nous éclairer. Cette personnification que j'avais ressentie à travers les informations télévisées est ici parfaitement tangible.



Bonjour Nicolas Grenier. Pourriez-vous vous présenter ?
Enchanté de vous rencontrer, Cher Monde dans les Livres, je suis Nicolas et mon patronyme est français, car il figure dans la partie des noms communs du dictionnaire. J’ai toujours à l’esprit Édouard Grenier, secrétaire du poète allemand Heinrich Heine à Paris, et ami d’Alphonse de Lamartine. Aujourd’hui, je suis là pour vous présenter « Rosetta, suivi de Philae », mon dernier recueil de haïkus.

Quel a été votre parcours poétique ?
Pour un poète français, c’est un parcours classique. Tout d’abord, un goût pour les mots. Aussi un vif intérêt pour la connaissance. Derrière mon air béotien, j’ai beaucoup lu, et je ne souviens plus de rien. Pour preuve, je suis incapable de vous citer un alexandrin ou un haïku, mais j’ai dû être un puits de science poétique. Il me reste tout au plus quelques noms de poètes dans ma cartouchière.

Après cela, la publication d’un poème, c’est une façon de montrer à la réalité qu’on a quelques idées… Quand je suis publié dans des revues littéraires, c’est toujours un grand honneur, car elles sont dirigées par des passionnés de littérature, et j’ai le souvenir de Herwarth Walden, et de sa tombe sur la Chausseestraße à Berlin. Bref, il faut toujours faire ses preuves, et continuer, camarade ! Cela devient pénible de justifier son génie à chaque tournant de sa vie, ce n’est pas fini, la vie m’aura épuisé, et le havre de paix semble loin. Dans ce monde d’égoïsme et de mesquinerie, les mains polies qui se tendent sont rares.

Pourquoi avoir choisi la poésie comme moyen d'expression aujourd'hui ? Et surtout, pourquoi le haïku ?
La réalité fait beaucoup de bruit. J'ai besoin de silence. La poésie exige une extrême solitude. Aussi je n’aime pas être dérangé par la médiocrité du monde, seule l’intelligence, comme la gentillesse, m’importe. J’ai toujours souhaité me retirer dans un château en province, mais je ne suis pas rentier. Le choix de la poésie s’est imposé, comme je ressens de l’ennui à lire une page de roman. À mes yeux, la page est inondée de mots. Trop de papotage ! Je ne préfère pas évoquer la littérature de conserve, jetable, qui prospère ici et là. Mais pour ne citer qu’un exemple, chez Louis-Ferdinand Céline, ça décape ! Un chic type, un peu crade, mais sympa ! Dans un livre, j’ai toujours eu besoin d’ouvrir une page au hasard, afin d’avoir une réponse au sens de la vie, et la poésie permet cette lecture aléatoire.

Par la suite, j’ai écrit des milliers de poèmes, le courage serait de tout mettre à la poubelle, et d’en finir une fois pour toutes. Pour le haïku, je le pratique depuis des décennies, car c’est une forme qui me relie au Japon, le pays de la plus vieille dynastie impériale au monde. Plus concrètement, l’écriture nécessite une concentration maximale, que l’on ne peut envisager qu’à plein temps. La forme brève permet de créer plus confortablement. Beaucoup de poètes ont connu cela, hélas, c’est donc tout à fait banal. Pour finir, je sais absolument que la poésie ne sert à rien, mais elle ne fait pas le Mal à grande échelle.

Pourquoi avez-vous choisi des sujets de la vie moderne dans vos écrits ? 
Il faut être le « peintre de la vie moderne », comme le souligne Charles Baudelaire. Chaque époque a son tourbillon de modes : une idéologie, une République, une religion. À la fin du spectacle, tout cela finit par tomber, comme les douilles d’un revolver. Parfois, la poésie peut verser dans l’hermétisme dès la fin du XIXe siècle, mais cela ne s’adresse qu’à des érudits ou des snobs. Par contre, quand on relit Jacques Prévert, je constate toute l’humanité et une générosité sous sa plume. Toutes ses passions, ses doutes, son amour des gens, sont là dans une écriture simple qui touche à l’universel.

Pour le choix des sujets, il faut être pragmatique, tout créateur habite un lieu. Si j’avais vécu à Babylone au VIe siècle avant J-C, j’aurai traité les sujets de mon temps, avec le style de l’époque dans la langue de ce peuple, et adressé mon poème à Nabuchodonosor II. Enfin, chaque poète gère, à sa façon, la perception qu’il a d’une réalité et écrit avec sa grille de lecture du monde. Mais le plus instructif dans l’histoire de l’Humanité, ce n’est pas la modernité, c’est ce qui a eu lieu avant l’invention de l’écriture, disons juste après la formation de la Terre. Le recueil « Rosetta, suivi de Philae », tout comme la mission spatiale, évoque, je dirais, ces aspects : l’origine de l’univers et la fin du monde.

Était-ce simple d'intégrer des thèmes et termes scientifiques dans vos poèmes ? Qu'apportent-ils selon vous à la poésie ?
Quand vous feuilletez un dictionnaire illustré de botanique, il y a des milliers de mots extraordinaires. C’est un territoire magique, fabuleux, tonitruant. J’aimerai passer des journées à dévorer des encyclopédies de gens savants, mais il faut avoir un travail atterrant, afin de payer son steak et sa gamelle d’épinards. Oui, la poésie prend toute son ampleur, quand elle se confronte à de nouveaux territoires. Dans un souci de réalisme, comme tout écrivain, j’ai dû me documenter. Pour ce recueil, j’ai tenté d’avoir un style fluide, en glissant si nécessaire un terme scientifique. L’exercice est assez jubilatoire, car, pour la première fois, certains mots apparaissent en poésie. Toutefois, il ne faut pas que cette inflation de mots abscons envahisse trop le poème, comme chez Saint-John Perse, car la lecture s’en trouverait peut-être fâcheuse. Vous le constatez, le langage de nos contemporains s’appauvrit. Là où un Ministre ou bien un PDG du CAC 40 devrait rendre hommage à la langue française, je ne constate qu’un spectacle de désolation. Pourtant, la France a bien traversé la Renaissance et le Siècle des Lumières. Si la poésie peut enrichir notre monde présent, ce sera formidable !

Le public que vous voulez sensibiliser n'est sans doute pas uniquement cantonné aux ingénieurs et hommes de science. Qui espérez-vous plus particulièrement toucher à travers vos poèmes ?
Naturellement, le recueil « Rosetta, suivi de Philae » est un hommage aux brillants scientifiques, qui ont mené la mission Rosetta, en France, le CNES, l'ESA, en Allemagne, la DLR, aux États-Unis, la NASA, le JPL, pour lesquels j’aimerai bien travailler, et je tiens à saluer toutes les personnes qui ont investi leur corps et leur âme dans cette équipée. J'ai un respect infini pour tous ces grands esprits, car ils donnent d'une certaine façon un sens à ma vie, et je l’espère, celle des autres. Quand le poète envisage une telle aventure humaine, cela lui donne envie de se lever chaque matin, comme s'il allait découvrir une page inconnue dans l'Encyclopédie de Denis Diderot et de Jean le Rond d'Alembert. Ce recueil de haïkus, il est aussi à l'histoire universelle de la poésie, en espérant que les Messieurs de la postérité se souviendront, là-haut, de mon recueil. J'espère qu'ils seront gentils avec moi, je le mérite vraiment, car je suis fatigué.

Enfin, ce recueil s’adresse aux générations futures. L’Humanité a besoin de scientifiques et d’ingénieurs, j'espère qu’il suscitera des vocations de scientifique chez mes lecteurs, j’en serai très ému. Dans cette société de consommation qui hébète la masse, les musées sont les supermarchés des Temps modernes. Dans ces tristes pays de l’Occident, l’on vend le mensonge à la population, aux pauvres, de leur naissance jusqu’à leur mort, et la France détruit encore l’authentique culture de ses provinces, ses paysans, avec la télévision et aujourd’hui le totalitarisme numérique, dans les yeux de nos enfants et des salariés. Le XXe siècle a vu naître le contrôle des masses, la propagande aux États-Unis. Tout cela m’afflige, le discours de Pier Paolo Pasolini contre les fascismes de la société démocratique n’aura servi à pas grand-chose, et le lavage de cerveau continue. La science reste un continent encore intact, et je suis heureux que le nom de scientifiques français, tels que Gaspard Monge, le comte Buffon, Antoine Lavoisier qui a été guillotiné sous la Révolution française, figure sur les plaques de rue dans les grandes villes.

Votre poésie dans Rosetta est très narrative. Comment est construit votre recueil ?
Un recueil de poésie a toujours une construction secrète. Vous le savez, les sonnets des Chimères par Gérard de Nerval sont cryptés. Mais dès que j’entends le concept de narratologie, j’ai envie de tirer des coups de feu en l’air. Oui, le livre est une suite poétique qui s’inscrit dans le temps… Ai-je songé au Mobile de Michel Butor ? À la poésie spatiale de Pierre Garnier ? Ou à Arsène Lupin, le héros populaire de Maurice Leblanc ? Hélas, je ne peux vous en dire davantage, peut-être que les universitaires ou des chercheurs d'un Centre de recherche en littérature se pencheront un jour durant un colloque ou dans leur doctorat sur ce mystérieux recueil « Rosetta, suivi de Philae », et si un traducteur, en Allemagne ou en Grèce, s’interroge à ce sujet, j’en serai fort amusé.

Quelques liens pour découvrir son travail, ici et

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