Beauvoir in love, Irène Frein
Quand
j’ai vu ce roman dans la librairie, je n’y croyais pas. Je me suis dit : « un
roman de Beauvoir que je ne connais pas ? Un livre sur Beauvoir que je n’avais
jamais vu ? ». Je dis cela
sans prétention ; c’est simplement parce que j’adore cette auteur et ai
beaucoup lu à son sujet. Mais en réalité, c’était une nouvelle
sortie de la collection Points en livres de poche ! Je connaissais Irène
Frein pour son roman Les naufragés de l’île
Tromelin, mais je n’aurais jamais imaginé qu’elle publie un roman sur
Simone ! Je me suis donc empressée
de l’acheter et je l’ai lu dès lors que j’ai eu fini Jane Eyre. J’ai eu du mal à le lâcher. La narration est assez
rapide, il n’y a pas de temps morts, le style laisse transparaître l’intensité
de la relation qui unie Simone et Nelson Algren. Maintenant, laissez-moi vous
raconter un peu…
Peu
après la guerre, Simone de Beauvoir se rend aux Etats-Unis pour visiter ce pays
dont Sartre, son amour nécessaire, lui a tant vanté les beautés et surtout les
disparités. Là-bas elle s’ennuie, Sartre n’est pas là et en plus, il file le
parfait amour à Paris avec Dolorès. Les conférences auxquelles elle va
participer pour promouvoir l’existentialisme sont peu nombreuses, et la vacuité
de son agenda la laisse sans force. Elle se dit qu’elle va profiter de ce temps
libre pour aller voir les bas-fonds de New-York, mais également de Chicago. Pour
être immergée au mieux dans l’univers des miteux à la Céline, elle va chercher
un guide. Par hasard, on va lui parler d’un auteur, Nelson Algren, qui habite Chicago
et justement côtoie les bouges de la ville. A force de persévérance, elle finit
par le convaincre de la rencontrer. A ce moment là, elle ne sait pas que sa vie
va prendre un tournant inattendu…
Entre
eux, c’est comme un coup de foudre, mais qui ne sera consommé que plus tard.
Simone reviendra en effet à Chicago pour le revoir, dans son appartement, et ce
seront les débuts d’une passion, tant exceptionnelle et magique, que brûlante et
destructrice.
Irène
Frein s’est intéressée de près à cette période de la vie de Simone, de 1947 à
1950. C’est une période très riche littérairement, qui va lui inspirer sa plus
grande œuvre, le Deuxième Sexe, ainsi
que les prémices de ce qui deviendra les Mandarins.
Mais c’est également une période de sa vie méconnue et mal connue. En effet,
peu de souvenirs ont été transmis à travers l’autobiographie de Simone, et
cette passion a été vue, de France, comme une sorte de lubie sexuelle. En réalité,
il s’avère que cet amour contingent a été la seule et véritable passion
amoureuse de Simone. Une passion dans toutes ses acceptions, avec ses moments
hors du monde, l’abandon total de soi, le manque, la folie, les larmes, les
cris ; tout le panel des émotions y passe. Et Irène Frein retranscrit cela
d’une main de maître, suivant le rythme des émotions des amants tel un chef d’orchestre.
On
apprend des détails touchants sur Simone, qui est présentée dans toute son
ambivalence, à la fois éminente intellectuelle et femme-enfant sensible et
idéaliste. Un élément marquant est le carnet dans lequel Simone et Nelson
écriront chacun leur tour, chaque jour, pour décrire leurs journées, et surtout
tester la vérité des sentiments de l’autre. Leur sincérité est à rude épreuve ;
en effet, tous les deux sont prisonniers : Simone de son amour nécessaire
pour Sartre, auquel elle ne peut s’empêcher de penser et auquel elle est liée
jusqu’à la mort. Nelson de sa « maudite sensation », cette sorte de
spleen furieux qui s’empare de lui sans qu’il sache pourquoi. Ces entraves
empêchent les deux écrivains de vivre pleinement leur amour, qui eut pu les
mener au mariage. Nelson est en effet plus qu’épris de Simone, et se voit bien
faire sa vie avec elle. Mais il y a Sartre… et il ne laissera pas échapper son
Castor.
Pendant
deux ans, les amants oscillent entre passion sans nuages et journées de
tempête, à l’issue desquels le carnet est noirci de termes exécrables,
effroyables, odieux. Eros et Thanatos n’ont jamais été aussi proches dans leur
tango macabre. Les lettres fusent, les rencontres s’enchaînent. Décevantes au
début car on ne reconnait plus celui ou celle qu’on a tant idéalisé en
souvenir, puis fabuleuses, avant que les chaînes de chacun ne les rappellent à
l’ordre. Ils finissent par ne plus se voir, mais continuent de correspondre ;
mais surtout, ils restent vivants à jamais dans le souvenir de l’un et de l’autre.
Simone, après l’avoir eu dans la peau, le garde près d’elle jusqu’à la mort,
emmenant son anneau dans sa tombe. Nelson, lui, peu avant sa crise cardiaque,
réalise un collage émouvant à partir de photos de Simone et d’articles de
presse publiés à son sujet.
Irène
Frein a réalisé un roman remarquable, à partir de faits avérés, retrouvés dans les
archives de Simone et Nelson. Elle a agi en biographe, et si le résultat est
romancé, c’est pas souci de sincérité. En effet, les archives concernant Nelson
sont peu nombreuses ou inaccessibles ; par conséquent, la solution la plus
respectueuse était de romancer les passages obscurs. Toutefois elle ne dupe à
aucun moment le lecteur, puisqu'elle indique ses sources (sans que le roman en soit
chargé, au contraire, on a véritablement l’impression de lire un roman d’amour).
Bref,
un fabuleux ouvrage, que je suis heureuse de posséder pour compléter ma petite
collection sur Simone, et qui m’a également donné envie de relire Les Mandarins (cette passion est racontée
de manière assez brève mais sans ambiguïtés dans le tome 2). En plus de cela, j’avais
été extrêmement captivée et marquée par cette lecture, que je serai heureuse de
reprendre.
Pour plus d'informations, je vous invite à vous rendre sur le site consacré à l'ouvrage (oui oui, un site rien que pour lui !), où vous trouverez des interview vidéo, des images et de nombreuses informations regroupées par l'auteur avant l'écriture du livre.
Tu me donnes très envie de lire ce livre ! J'admire Simone de Beauvoir. J'ai lu Mémoires d'une jeune fille rangée, et le premier volume de Deuxième sexe. C'est une personne tellement passionnante. J'aurais très envie de la découvrir sous cette facette différente, celle de la femme amoureuse, passionnément amoureuse. Je note !
RépondreSupprimerPS : Je suis Emma. Je ne savais pas comment faire pour mettre mon "pseudo". Je tenais le blog littéraire para-doxale, et nous avions un peu échangé toutes les deux :)
Ah je comprends maintenant :)
RépondreSupprimerLe commentaire avait été classé dans les spam ...
Mais maintenant tu as vu comment faire.
J'adore Simone de Beauvoir et je te conseille vraiment vraiment de lire ce roman. Tu devrais aussi essayer "Les Mandarins", qui est super (mais que j'ai abandonné l'autre jour, après avoir commencé une deuxième lecture... comme quoi, un roman ne nous captive pas de la même manière selon le moment de la vie où on choisit de le lire!)
Je suis allée ce matin dans une librairie où on m'avait offert une carte cadeau. Je n'avais aucune idée de ce que voulais prendre avec cette carte, et je suis passée devant ce livre en livre de poche. Alors je n'ai pas hésité, je l'ai pris ! Je reviendrai te dire ce que j'en ai pensé :) Et je note pour les Mandarins !
RépondreSupprimerSuper ! Tiens moi au courant de ton ressenti suite à cette lecture !
RépondreSupprimerJe vais ajouter ton blog à ma liste :)
Tu attises ma curiosité. Je connaissais vaguement l'existence de cette passion mais j'ignorais qu'il y eut des archives ! Moi aussi, je suis fan de Beauvoir et cet ouvrage devrait me plaire (même si j'ai parfois du mal avec I. Frain)
RépondreSupprimerSuper si j'ai pu te donner envie de lire ce roman ! J'ai lu "Les naufragés de l'île Traumelin", qui ne m'avait pas impressionnée plus que ça, et c'est tout ce que je connais d'Irène Frain. Mais là c'est vraiment bien écrit et bien documenté. Tu n'as pas de crainte à avoir à mon avis.
SupprimerUn film relatant cette histoire devait se faire avec Johnny Depp et Vanessa Paradis mais ils se sont séparés avant.
RépondreSupprimerAh oui ???? Je ne savais pas !!! Quel dommage...
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