mercredi 18 juillet 2012

Un classique au goût du jour

Bel Ami, Maupassant

C’est vrai qu’il est très délicat d’écrire un article sur un roman aussi connu, aussi étudié, autant lu. On a le sentiment que tout a été dit, écrit, analysé, bref, qu’on ne pourra jamais apporter quoi que ce soit de nouveau. Ce sentiment est réel ; je n’apporterai rien de nouveau à l’affaire. Pourtant que ne me priverai pas d’écrire ce que j’ai pensé, aimé, découvert dans ce roman que j’ai lu avec beaucoup de plaisir, pour la seconde fois.
Gorges Duroy, celui qui deviendra Bel Ami, est un séducteur : il séduit tout, et tout le monde. Femmes de tous âges, prenez garde. Aucune de vous ne résistera à ces petites moustaches, à ce sourire, à cette allure. Même sans le sous, Georges plaît, et il le sait. Attention aussi à vous, lecteur… l’écriture de Maupassant, dès l’incipit, laisse toutes les clés pour vous entraîner dans le labyrinthe subtil de l’ascension de ce fameux arriviste. On sait qu’on marche vers le haut, on se laisse emporter, presque emprisonner par ce destin implacable, mais les heurts et les rencontres rendent ce roman de l’achèvement sans pareils.
Des heurts, il y en a moult : le manque d’argent, la médiocrité du journaliste en herbe, la faim, le désespoir, la honte de ne pas savoir comment se comporter dans cette société. Le miroir est là pour le rappeler : Duroy n’est pas de cette trempe. Avec des parents paysans, il n’a pas connu les salons où l’on cause et les dîners par lesquels on devient. Pourtant, peu à peu, le reflet dans le miroir se transforme, et Georges devient comme eux, et pas seulement en apparence. Tout son être se meut en un être de passions : argent, pouvoir, désirs. Grâce à sa séduction et aux nombreuses (et heureuses !) rencontres, il finit par arriver.
Des rencontres donc. Il y en a également beaucoup, et heureusement ! Tout d’abord cet ami lors de l’errance dans la ville ; c’est lui qui va introduire Georges auprès du personnel du journal de Forestier. De là, invitation pour un dîner mondain. C’est là que toutes les rencontres se font, toutes à la fois : Clotilde, sa jeune fille, Madeleine et j’en passe. Des femmes surtout, et surtout celle qui va être à l’origine de la fameuse proposition d’article. Un article sur l’Algérie…
Mais Duroy n’a fait que du droit. Il est incapable d’enchaîner élégamment trois idées entre elles. Plumitif, il requiert l’aide de Madeleine Forestier, écrivaine en chef d’une bonne partie du journal. Mais ça c’est comme le reste : même si ce sont les femmes qui en réalité détiennent le pouvoir, on le cache. Virilité oblige. En tout cas, l’article est bon, forcément. Georges connaît son premier succès. Mais il n’y a que cela qui l’intéresse ; alors, quand il s’agit de continuer sa chronique quelques jours plus tard, même galère. La muse du journaliste n’est évidemment pas venue habiter sa plume.
De là s’enchaînent invitations et rencontres, premiers émois, premières passions. D’abord avec une prostituée rencontrée au théâtre ; ensuite avec Clotilde. Sans le sous, il a du mal à divertir cette femme du monde. Il peine à l’emmener ne serait-ce que boire une grenadine sur le coin de table d’une gargote. Alors c’est elle qui finit par lui donner de l’argent, en cachette. Voilà Georges Escort-Boy. Néanmoins il semble qu’il ait quelques sentiments pour cette femme sensuelle et amusante… ce sera bien la seule.
Pour réussir à Paris, on le sait, il faut avoir un nom, se marier. A la mort de Forestier, Madeleine épouse Georges. Aucune passion, aucun amour : tout est fade, frasques et pouvoir. Il prend la tête du journal. Il arrive Du Roy, il arrive. Toutefois il lui faut également le désir. Puisque cette femme ne le contente pas sur ce point, autant regarder ailleurs. Mais pas dans n’importe quelle sphère ; toujours choisir celles qui sont d’influence. Et voilà notre homme qui se marie une seconde fois, avec la fille d’un homme de pouvoir.
What else ?
On a ici incarné l’arrivisme, sous le manteau de la séduction et du désir. Duroy, ou comment réussir à Paris, au XIXème siècle, par l’intermédiaire des femmes. Le tout sous la plume d’un grand Maupassant, qui peint avec précisions les circonvolutions et les stratégies de cette âme maligne, séductrice et, disons-le, chanceuse. Le Rastignac du conteur.
On peut ne pas aimer Bel Ami ; c’est vrai qu’il est profiteur, trompeur, superficiel et avide de pouvoir. Mais pourtant, comme on sait ce qu’il a été, à savoir un garçon sans le sous attiré par ce qui brille, on peut se surprendre à suivre avec passion, nous aussi, les aventures de cet homme si humain.

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